Elle avait 20 ans. Elle était Roumaine. Elle s’appelait Giorgiana Andreea. Son corps a été retrouvé dans la Durance, à Avignon, le 21 juin 2009. Voilà ce qu’il est convenu d’appeler un « fait divers ». Giorgiana est morte à vingt ans. Sans doute serait-elle encore vivante si elle avait été infirmière, avocate, secrétaire. Mais Giorgiana était prostituée.
Fatalité, haussement d’épaules. Ces filles-là… Les « risques du métier »… Quelques lignes dans les journaux, puis silence. Jusqu’à la prochaine fois. La prochaine jeune femme violée, étranglée, tuée. Par un « client », un proxénète, un « maniaque » ? Qu’importe. Ces histoires ne nous regardent pas. La prostitution, c’est ailleurs, la prostitution, c’est les autres.
Giorgiana faisait croire à sa mère qu’elle faisait des ménages en France. En réalité, elle enchaînait les passes dans la Cité des Papes. Jusqu’au soir du 23 mai où elle est montée dans une clio bleue. C’est la dernière fois que ses cousines, Diana et Julia, l’ont vue. Diana et Julia, condamnées comme elles à un coin de trottoir dans notre pays de démocratie et de liberté.
Trois cousines arrachées à leur pays, leur famille, leur culture, leur jeunesse aussi, pour qui la France se résume à un défilé nocturne d’hommes anonymes et indifférents, s’estimant en droit de tirer parti de leur détresse, de leur exil, pour « se payer du bon temps ».
Combien de temps encore va-t-on s’accommoder de cette longue litanie de meurtres, de viols, d’agressions dont les premières victimes, toutes désignées, sont les personnes prostituées ? Combien de temps va-t-on traiter ces violences et ces meurtres comme des fatalités ?
Crimes impunis, agresseurs rarement poursuivis… La vérité est que la société accepte tacitement les violences commises contre ces femmes (surtout) et ces hommes (aussi). Qu’elle les voue, même, à porter cette violence dans leur corps pour, prétendument, en décharger le reste de la société. Au prix de la relégation dans le statut de « vulgaire prostituée » qui parvient à faire de la victime la coupable.
Il s’en trouvera pour profiter d’une telle affaire pour défendre les « maisons closes », ces établissements carcéraux déguisés en entreprises de loisir, au nom d’une bonne conscience tranquille. Fausse sécurité qui fait les choux gras des patron-ne-s, qui règnent en maître sur le cheptel féminin, prié de se plier aux quatre volontés du client-roi.
C’est la prostitution même qui constitue une invitation à la violence, une ouverture de droits sur le corps d’autrui, un espace incivilisé. La preuve en est faite tous les jours mais qui veut vraiment le savoir ?