L’enjeu est de première importance. A quelques jours de la décision du Conseil Constitutionnel qui choisira ou non, le 1er février 2019, d’abroger la pénalisation des « clients », les féministes abolitionnistes se font entendre avec une détermination renouvelée. Tribunes dans la presse, interventions de survivantes, ralliement d’un nombre croissant de personnalités! Face à la force des arguments, les « Sages » oseront-ils graver dans le marbre le « droit » des hommes à exploiter sexuellement des femmes quelles qu’en soient les conséquences pour elles et pour la société ?
Le happening de quatre survivantes au square Louise Michel, ce 17 janvier à Paris, est le dernier acte, inattendu, de la mobilisation. Rosen, Anne, Pascale et Maïté ont déclaré haut et fort qu’il ne saurait y avoir de « liberté d’entreprendre », pour reprendre les termes des requérants, sans respect de la dignité humaine. Le message était clair : « Nous qui avons connu la prostitution et en sommes sorties, nous ne voulons pas que les clients soient impunis ». « C’est la prostitution qui est violente, ce n’est pas la loi. Et cette violence, c’est d’abord le client qui l’inflige. »
Cette voix désintéressée, soutenue par des associations derrière une banderole « Ecoutez les survivantes », est toujours difficile à faire entendre dans le concert des défenseurs de la mise en marché du sexe des femmes et de ses profits. C’est une voix salutaire venue appuyer un mouvement qui n’a fait que grossir. En quelques semaines, la plateforme #NAbrogezPas a réuni pas moins de 69 associations, dont les grands réseaux de l’égalité femmes-hommes (Fédération Nationale Solidarité femmes, Osez le Féminisme, Collectif National pour les Droits des Femmes, Femmes solidaires, Marche Mondiale des Femmes, le CNIDFF, FEMEN etc.), mais aussi de nombreuses autres associations spécialisées (Collectif Féministe contre le Viol, Fédération nationale GAMS, Association française des femmes médecins, Le Planning familial 75, CQFD Lesbiennes Féministes etc!)
Plusieurs tribunes ont été publiées dans la presse. Le 14 janvier, dans l’Obs, d’ancien.ne.s ministres et député.e.s (46 femmes, dont les auteures de la loi, et! 10 hommes) se prononçaient pour le maintien d’« une loi historique, humaniste » dont l’application commence seulement à faire sentir ses effets. « Notre société dit désormais que l’intégrité, la dignité de la personne humaine, la non marchandisation du corps, l’égalité entre les femmes et les hommes, ces principes fondamentaux, doivent être protégés de la loi du marché. » Elles et ils concluaient en disant : « Le monde entier nous regarde ».
Dans Le Parisien du 13 janvier, six anciennes ministres (Yvette Roudy, Najat Vallaud-Belkacem, Laurence Rossignol, Pascale Boistard, Marie-George Buffet, Roselyne Bachelot), ces 69 associations et des personnalités engagées pour les droits des femmes rendaient publique leur lettre ouverte au Premier Ministre. Pour elles, « cette idéologie réglementariste de reconnaissance du travail du sexe » ne pourrait que conduire à la dépénalisation du proxénétisme, une politique promue par l’Allemagne et les Pays-Bas, pays submergés par la traite des femmes. Les signataires attiraient l’attention du Premier Ministre sur le fait que le Strass, « Syndicat du travail sexuel », l’un des requérants en abrogation, réclame sans s’en cacher sur son site Internet « la disparition du Code pénal des dispositions sanctionnant spécifiquement le proxénétisme ».
Le 10 janvier, Le Monde publiait l’appel d’un collectif de vingt médecins, parmi lesquels René Frydman, Axel Kahn, Christophe André, Ségolène Neuville, Muriel Salmona, Emmanuelle Piet : « Dépénaliser serait une catastrophe tant sur le plan des violences que sur celui de la prise en charge sociale et sanitaire ». Rappelant que « la vie sexuelle et relationnelle » des personnes en situation de prostitution « est saccagée », que cette activité est destructrice, les signataires engageaient les autorités à appliquer la loi de 2016 et à mettre toutes leurs forces à « prévenir la violence inhérente à la prostitution qui est le premier facteur de mortalité et de morbidité ».
La sénatrice Laurence Rossignol, ancienne ministre des droits des femmes, avait ouvert la voie le 12 décembre 2018 en rendant publique, sur le Huffington Post, un texte collectif dénonçant les dangers de « la constitutionnalisation de la marchandisation du corps » et rappelant que tous les commerces ne sont pas licites. « Affirmer que la pénalisation des clients contrevient au principe constitutionnel de « liberté d’entreprendre » reviendrait donc à reconnaître la traite des êtres humains comme une activité commerciale parmi d’autres. Et, par conséquent, à faire de la loi fondamentale un outil au service des dominants, plutôt que l’instrument de l’émancipation des dominés. »
Les arguments sur la table, c’est toute la mouvance abolitionniste, féministe et progressiste française qui se tient prête pour l’audience du Conseil Constitutionnel le 22 janvier. Et espère fêter le 1er février la sage décision de ceux qui ne manqueront pas de permettre la mise en œuvre d’une loi progressiste, symbole d’un vrai changement de société.