Procès de la prostitution ? Oui, et ce n’est qu’un début !

1965

Après trois semaines d’audience, les réquisitions sont tombées contre les quatorze prévenus ; des peines légères comme on pouvait s’y attendre. Reste que, grâce au courage des femmes qui se sont portées parties civiles, ce procès aura permis d’éclairer des pratiques qu’il deviendra de plus en plus difficile de couvrir et de banaliser.

Sans surprise, les peines seront légères et Dominique Strauss Kahn sortira blanchi du tribunal puisque la charge portée contre lui n’était tout simplement pas la bonne. « Client » il était, avant toute chose. Or, la loi actuelle – qui pourrait changer prochainement – ne pénalise pas les comportements décrits devant le tribunal. Comme toujours, les faits de violence ne sont pas retenus comme des viols, puisqu’il s’agit de prostituées…

Il reste que ce procès aura été plein d’enseignements. Les témoignages des quatre femmes qui ont eu le courage de se porter partie civile (avec des perruques tant le poids de la honte continue de peser sur elles) ont fait mouche. Un coin du voile a enfin été levé sur cette prostitution « de luxe » tellement glamourisée dans les medias, et au passage sur la prostitution tout court. Le fantasme en a heureusement pris pour son grade.

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Mais il a également fallu assister au grand serrage de coudes des prévenus et de leurs avocats, drapés dans leur dignité outragée (quelqu’un a même osé évoquer un parallèle avec l’affaire d’Outreau). Ces messieurs n’étaient que des « clients » de la prostitution dans une fête « gauloise », une bande de potes qui ont fait la fête et se sont adonnés à une balade un peu virile et canaille… Les hommes de ce rang ont le droit de lâcher prise, de se payer une énorme fête avec ce qu’elle compte d’excès, d’insouciance, d’inconscience. Pas un mot de compassion, pas une excuse n’ont été prononcés. Les femmes prostituées, du matériel ou des personnes au QI de 25 (selon le mot charmant de Dodo la Saumure), n’existent tout simplement pas. Ce qu’elles ont subi ? Aucun ne s’en émeut. Bien au contraire, elles se retrouvent en position d’accusées, jugées trop théâtrales, soupçonnées de forcer le trait et de verser trop de larmes, ce qui ne peut être que l’effet d’un mensonge ou d’une manipulation (en l’occurrence, nous dit-on, celle du Mouvement du Nid). Un seul objectif compte : sauver à tout prix les pratiques scellant la grande fraternité masculine autour du pouvoir, du sexe et de l’argent.

Les portes du tribunal refermées, les quatre femmes vont devoir retourner à leur vie quotidienne, affronter le regard de ceux qui les auront reconnues et sauront tout des actes qui leur auront été imposés. Pour l’une d’entre elles, l’angoisse est encore plus grande, et la solitude : son compagnon n’est au courant ni de son passé dans la prostitution ni de son témoignage devant le tribunal. Toutes vont vivre avec la peur des blâmes et du mépris, voire des représailles. Pour elles, l’épreuve n’est pas finie.

Des réquisitions plus qu’indulgentes

Les réquisitions sont tombées dans le procès du Carlton. Comme prévu, la charge de proxénétisme aggravé qui pesait sur plusieurs des prévenus s’est diluée au fil des semaines. Les menaces de dix ans de prison et un million et demi d’amende sont bien loin. Aucune charge n’a été retenue contre Dominique Strauss Kahn. René Kojfer, le pourvoyeur de personnes prostituées du Carlton, est menacé de quinze mois avec sursis, et les gestionnaires de l’hôtel, Hervé Franchois et Francis Henrion, chacun de huit mois avec sursis.

Pour Fabrice Paszkowski et David Roquet, tous deux accusés d’avoir fait payer les factures des soirées par leurs sociétés, le parquet a demandé pour chacun deux ans de prison avec sursis et 20.000 euros d’amende. Quant à Dominique Alderweireld, dit Dodo la Saumure, dont le lourd passé judiciaire (13 condamnations dont deux pour proxénétisme) a été largement rappelé, il pourrait écoper de la peine la plus lourde (si l’on peut dire) : deux ans de prison dont un ferme.
Le jugement a été mis en délibéré au 12 juin 2015.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.