Un raz-de-marée médiatique a accompagné la sortie de deux ouvrages d’étudiantes, l’un sous forme d’enquête[[Éva Clouet, La prostitution étudiante à l’heure des nouvelles technologies de communication, Max Milo, 2008.]], l’autre de témoignage[[Laura D., Mes chères études, Max Milo, 2008.]] sur la « prostitution étudiante ». Si ce thème suscite un engouement — ponctuel — des médias dont on peut supposer la part de complaisance et de fantasme, il préoccupe depuis longtemps le Mouvement du Nid, comme en témoignait son apport à l’émission Envoyé spécial[[Émission diffusée sur France 2 le 23 novembre 2006, reportage de Michel Guetienne et Frédéric Bohn.]] en 2006…
Deux visions radicalement opposées et pourtant unies par un constat « oublié » dans les médias : une sexualité profondément inégalitaire. Pas une radio, une télé, un quotidien qui ne se soit emparé du sujet. La question de la prostitution étudiante
a soulevé une véritable passion dans les rédactions, sans doute en vertu du fantasme voulant qu’une étudiante « libertine » soit plus excitante qu’une « vulgaire » prostituée.
Le bruit fait autour de ces deux ouvrages n’aura certes pas servi à préciser les réelles dimensions du phénomène, sans doute guère différentes des autres catégories de population en butte à la précarité et poussées à la prostitution occasionnelle. Il aura en tout cas l’intérêt de souligner le rôle fondamental d’Internet, devenu un outil de prostitution sans précédent. Anonyme, facile d’utilisation, ignoré de la police et du fisc, le recours à l’activité d’escorte
est devenu possible, à domicile, d’un simple clic.
S’agit-il de nouvelles formes de prostitution ? Oui, si l’on en croit Éva Clouet ; non, si l’on se réfère à l’expérience de Laura. La prudence est de mise. Éva Clouet s’appuie sur une demi-douzaine d’entretiens, ce qui est peu, et Laura décrit son expérience personnelle. La première a rencontré des jeunes femmes socialement intégrées, usant d’un vocabulaire choisi (escortes
, rendez-vous
…), se percevant comme des maîtresses rémunérées, invoquant leur sentiment de valorisation, de liberté. Laura, de son côté, décrit un engrenage infernal qui rappelle au Mouvement du Nid des histoires entendues quotidiennement.
Le discours des interlocutrices de la sociologue trace le portrait de quelques jeunes femmes intellectuellement privilégiées montrant un nouveau rapport aux hommes, à l’argent, à la sexualité. Un rapport calqué sur le traditionnel modèle masculin : à leur tour, elles exigent expériences sexuelles, libertinage
, diversité.
S’ajoutent des motivations plus traditionnelles propres à la jeunesse : le désir de dépasser les interdits, l’excitation de mener une double vie, de mettre du piment
au quotidien.
Un pouvoir stéréotypé
En creux, se dessine le profil des « clients » : des hommes d’âge mùr, majoritairement mariés et appartenant aux classes dirigeantes. Pour la plupart, ils ont été « clients » des prostituées traditionnelles et sont enthousiasmés par les étudiantes.
Cette « élite » de chefs d’entreprise et d’ingénieurs, très largement représentés, assoit tranquillement une double domination : domination masculine ouvrant droit au corps des femmes, jeunes obligatoirement, doublée d’une confortable domination économique et sociale.
Au privilège des stock-options, vient s’ajouter celui de prostituées sexuellement libérées
, capables de tenir une conversation brillante et de s’intéresser à leur personne…
Sous la « modernité » apparente des comportements, les stéréotypes résistent. S’affichant libertins, ces hommes ne font guère qu’obéir aux codes les plus traditionnels de la masculinité en « trompant » leurs épouses et en invoquant le risque minimum
induit par la relation vénale.
Tout aussi traditionnellement, ils s’offrent le luxe d’être les mentors qui dispensent aux jeunes femmes aide et conseils d’orientation. Par leur entremise, explique Éva Clouet, les étudiantes pensent se constituer un réseau et accroître leur capital social
: l’argent et le pouvoir masculin comme vecteurs d’intégration…
L’étalon homme
Quant aux jeunes femmes, elles attendent toujours du regard masculin la consécration. Les compliments, face à leur corps notamment, sont le chemin de la valorisation qui semble leur faire défaut dans une société où les critères de beauté sont implacables. Ainsi, l’estime de soi de ces jeunes filles se mesurerait toujours au désir qu’elles inspirent à des hommes à grosse surface sociale et serait d’autant plus forte que le montant de l’enveloppe est élevé. Le regard masculin et l’argent demeureraient donc les deux étalons de la valeur féminine.
Des cours chèrement payés
Prostitution libre ou garante de liberté
, caractère épanouissant
de l’activité, indépendance… L’étude conforte, malgré elle, les arguments de tous ceux qui sont désireux de faire de la prostitution un service
libertin entre adultes responsables et vaccinés. On sent d’ailleurs une gêne chez l’auteure qui fait état, in extremis, de résultats d’autres enquêtes portant sur les violences et ruptures dans les parcours de vie.
Éva Clouet prend donc quelques précautions. Elle se demande, pertinemment, si les jeunes femmes interviewées sont représentatives (et celles des bars à hôtesse ou des salons de massage ?) et si leur satisfaction affichée résisterait à une nouvelle enquête après une période plus longue de prostitution. Quid, demande-t-elle, des conséquences individuelles et sociales à long terme?
À ces questions, notre expérience nous permet de risquer quelques hypothèses. Pour nous, ces jeunes femmes (elles pressentent d’ailleurs le danger) se situent dans une zone à risques. Elles vivent une prostitution très occasionnelle dont elles perçoivent pour le moment les côtés grisants – argent rapide et sommes conséquentes, sentiment de pouvoir, goùt de liberté lié à celui de transgression -, toutes impressions que nous recueillons souvent dans les témoignages de personnes relatant les premiers temps de prostitution. Pour la plupart, celles chez qui s’installe la routine prostitutionnelle vivent ensuite un temps de désillusion brutal, souvent assorti d’expériences de violences, de mépris, d’enfermement. C’est déjà le cas de Laura, pour qui la machine prostitutionnelle est vraiment en route. Galanterie
, respect
, courtoisie
ne sont plus guère de mise …
Laura D., Mes chères études
Un clic de souris « pour voir » et le piège est en marche. D’un côté, l’urgence financière, de l’autre le défi. Laura, étudiante, est une jeune fille d’aujourd’hui, qui confie au passage avoir régulièrement visionné des films pornographiques comme tout le monde
.
Une fois, pas plus
, Laura rencontre Joe, son premier « client ». Elle décrit le mélange de sentiments haineux et de contentement face aux compliments.
Puis l’envie de vomir, les accès de peur, les moments d’absence à soi-même… Laura décrypte comment la maîtrise des événements lui échappe. Elle flaire le danger, ne serait-ce que dans la façon dont l’argent a pour effet d’effacer l’envie de pleurer. Elle découvre qu’il ne suffit pas defaire la morte
mais qu’il faut donner de soi, ce à quoi elle répugne. Elle comprend que c’est le « client » qui gagne au final., que sa courtoisie a tôt fait de tourner au mépris si elle n’accepte pas les règles d’un jeu qui appartiennent à celui qui paye.
En gonflant les enveloppes en même temps que ses exigences, « Joe » tient Laura, laquelle pense naïvement le pigeonner
. C’est l’engrenage : le toujours plus en matière d’argent, le harcèlement de certains clients, l’invasion croissante de la vie privée. Pour Laura,l’expérience prétendument lucrative est chèrement payée : la violence émotionnelle et physique, la rupture avec son amoureux, l’obligation de fuir sa ville et donc d’interrompre ses études. Laura était assez équilibrée pour réagir. Son témoignage a le mérite d’aborder la face cachée de « l’argent facile ». Édifiant.
« Prostituée étudiante », un label plus vendeur
Selon Monique Chon, de l’association D’une rive à l’autre (Nantes), psychothérapeute et intervenante à la conférence La prostitution étudiante à l’heure d’internet[[Organisée par la délégation du Mouvement du Nid de Nantes le 6 décembre 2007.]]
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C’est vendeur (…) les « clients » préfèrent acheter une femme qu’ils supposent cultivée. Aussi nombre de personnes prostituées se présenteraient comme « étudiantes » pour bénéficier de cette plus-value.