Aucune femme ne naît pour être pute

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« Aucune femme ne naît pour être pute », de Sonia Sanchez et Maria Galindo.

Dans ce livre à deux voix, Sonia Sanchez, survivante de la prostitution argentine et Maria Galindo, activiste féministe bolivienne de « Mujeres Creando »(1) l’affirment : la rupture avec le système prostitutionnel ne peut être que radicale ; les femmes en situation de prostitution n’ont plus rien à perdre.

Le livre s’ouvre par un poème écrit par 13 survivantes argentines :  » Je suis une femme, pas une chose […] J’ai des questions à poser à l’Etat :

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« Pourquoi n’ai-je pas de travail? Pourquoi n’ai-je pas été à l’école? Pourquoi ne suis-je pas maitresse de mon corps et de ma vie? […] Arrêtons l’hypocrisie collective, mes « clients » sont vos frères, vos cousins, vos maris, vos fils ».

Maria Galindo (dite « la lesbienne » dans le livre, pour indiquer d’où elle parle) pose les questions et Sonia Sanchez (dite « la pute ») y apporte des éléments de réponses liés à son vécu dans le système et à sa sortie de la prostitution. Par les mots, Sonia Sanchez, survit et se réapproprie son histoire. Pour Maria Galindo, parler de la réalité prostitutionnelle permet de contrer la banalisation du phénomène avec un éclairage féministe.

Tout d’abord, elles montrent comment la prostitution est un élément quasi-constitutif du patriarcat. Les personnes en situation de prostitution sont presque toujours des femmes, « une femme qui n’a aucun droit sur son propre corps », « une femme dont le corps est un bien public destiné aux hommes ».

Sa condition rejoint celle de toutes les femmes dans un système patriarcal : elle est la grande oubliée, silencée, n’ayant pas d’existence propre. Seule la solidarité entre toutes les femmes peut vaincre ces chaînes d’oppression. Elles appellent à un débat de société :

« la prostitution nous touche au coeur de notre société, de nos communautés, de notre état, de notre pays, car s’y mêlent violence extrême, expropriation, exploitation ».

La voie de sortie, pour Sonia Sanchez, c’est d’abord celle du silence et du mirage créés pour mieux supporter la réalité. Le silence est un moyen de survie, causé par la peur et la violence des proxénètes. En outre, le sysètme agresseur les pousse à l autoflagellation, « je suis mauvaise », « c’est de ma faute », « je suis sale », etc. Retournement de culpabilité bien connu.

Le mensonge, au cœur du système

Le mensonge est constant : « vous vous mentez quand vous vous dites que vous imposez un prix, vous vous mentez quand vous vous dites que vous choisissez vos clients, quand vous vous dites que vous n’y resterez pas longtemps. Toutes les conditions de la passe sont imposées par le prostitueur ».

Maria Galindo, elle, rappelle la nécessité de reprendre le pouvoir de nommer justement les choses. Les termes « travail du sexe », « entrepreneuse », « prestataires » ne sont qu’un maquillage , une fuite face à la réalité de la prostitution. Ces mots créent un faux sentiment de dignité et alimentent le tissu de mensonges propres au système prostitutionnel.

Les autrices évoquent ensuite les auteurs des violences du système. L’Etat patriarcal est désigné comme proxénète. Sonia Sanchez prend l’exemple des programmes d’inclusion alimentaire et de distribution de préservatifs, qui loin d’aider les femmes en situation de prostitution, les maintiennent dans une situation de dépendance et de contrôle inacceptable.

Elles montrent l’absurdité des contrôles sanitaires imposés par l’état sur les femmes, jamais sur les clients, « la marchandise doit être toujours propre à la consommation ».

A lire également : lettre ouverte à mes prostitueurs, par Tanja Rahm 

Maria Galindo dénonce le caractère masculin de l’Etat et sa complicité dans la marchandisation du corps des femmes « la prostitution est une composante de tous les systèmes politiques, de toutes les idéologies et de toutes les cultures ». Autres acteurs évidents de ce sytème, le proxénète et le « client », toujours un homme, celui qui détient le pouvoir. La femme n’est qu’un objet, le client achète son consentement pour mieux exercer sa domination et sa soi disant virilité.

Les acteurs secondaires sont également mentionnés : ONG, église, partis politiques, syndicats, travailleurs sociaux alimentent le système en le cautionnant et ce de plusieurs manières : en parlant à la place des personnes concernées, en maquillant la violence prostitutionnelle, en culpabilisant les femmes, en parlant de bénéficiaires et non de personnes, ou en transformant la prostitution en un travail comme un autre.

Paru aux Editions Libre en 2022

(1) elle est fondatrice de ce groupe d’action de rue très connu en Amérique latine