Blandine Métayer et Isabelle Linnartz, autrices de la pièce « Les survivantes »

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Tant que les femmes seront violées, achetées, insultées, dégradées, sous-payées et prostituées, il n’y aura pas d’égalité possible.

Blandine Métayer est depuis plusieurs années une alliée du Mouvement du nid. Comédienne, elle a lu à  plusieurs reprises des témoignages de personnes prostituées lors d’événements abolitionnistes. Elle a également rencontré Rosen Hicher, survivante de la prostitution. La force des témoignages l’a amenée à  vouloir les adapter en proposant à  Isabelle Linnartz d’en faire une pièce de théâtre.

Elles ont écrit un texte qui réunit, dans le bar glauque d’une aire d’autoroute, 5 femmes prostituées aux parcours différents, et des « clients » (tous joués par le même acteur), dont un qui finit par prendre conscience de la violence prostitutionnelle. Après 9 jours de résidence au Théâtre 13 à  Paris, une représentation de la pièce a été donnée devant une quarantaine de personnes. Un moment très fort, qui montre comment le théâtre peut être politique, et porte un message universel.

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Comment est née la pièceLes survivantes ?

Blandine Métayer :

Avec Isabelle, nous étions ensemble au cours Florent. Quand je l’ai retrouvée, je lui ai tout de suite dit que j’avais un projet autour des témoignages de survivantes de la prostitution. Je lui ai fait lire le recueil publié par le Mouvement du Nid. C’est comme cela que l’aventure a commencé.
Pour elle, c’était une plongée dans un monde inconnu. Elle y a apporté son talent artistique et son professionnalisme pour en faire une véritable œuvre théâtrale. Pour ma part, j’ai pu apporter mon expertise, ma connaissance du sujet. Ensuite nous avons rencontré des membres du Mouvement du Nid, à  qui nous avons exposé le projet. Et c’est parti.

Isabelle Linnartz :

Contrairement à  Blandine qui était déjà  plongée dedans, c’est un univers qui ne m’était pas familier. J’ai découvert à  travers les témoignages la violence quotidienne de la prostitution. Tout en voyant que ce ne sont pas des femmes différentes de moi. Cela m’a beaucoup émue. Tout d’un coup elles étaient mes frangines. J’ai découvert grâce aux témoignages l’universalité du sujet.

Comment avez vous procédé à  l’écriture  ?

BM : Isabelle a vraiment créé la dramaturgie, ce qui permet que cela ne soit pas juste un collage de témoignages. C’était important de réussir à  faire vivre des personnages, que cela ne soit pas seulement documentaire.

IL : Il fallait des personnages représentatifs de personnalités et de parcours différents. Je voulais aussi montrer ce qui se cache derrière la prostitution  : la guerre, la religion, la pseudo liberté… Dans la pièce on voit l’engrenage dans lequel elles sont prises. On rentre dans leur univers. On les voit vivre, sans caricature, sans que ce soit voyeur, ni sublimé dans une image d’Epinal, ni héroïsé, ni « frites dentelles accordéon ». Je les ai tout de suite mises en scène dans quelque chose de dur, de froid, l’air d’autoroute, le bar banal, lambda. C’était important aussi que les spectateurs ne se disent pas que ce sont des femmes à  part. C’est ce qu’il s’est passé lors de la représentation  : les spectateurs étaient bouleversés à  la fin.

Que cherchiez-vous à  transmettre concrètement aux spectateurs et spectatrices  ?

BM : Que cela suscite une solidarité féminine ; même de la part des femmes qui auraient pu dénigrer les femmes en prostitution. En écoutant la réalité, cela change. On a envie de les prendre dans nos bras, parfois.

IL : Grâce au théâtre, une émotion se crée qui permet transformer le spectateur. Avec le personnage de la jeune femme qui a été kidnappée, on voit vraiment la petite fille, la gamine qui se cache derrière la personne qui est obligée de se prostituer. Elle porte un sac « Pikachu ». Elle ne veut jamais « y aller ». Il y a une scène muette avec son mac qui la maltraite. Tout d’un coup, on voit sa peur. D’instinct, je voulais ça. J’ai été confortée sur cette voie de montrer l’enfance par un militant du Nid qui, quand je lui en ai parlé, a dit  : c’est incroyable, j’ai vu une jeune femme récemment, c’est exactement ça.



Le théâtre peut donc être politique, contribuer au débat et jouer un rôle dans la sensibilisation  ?

IL :Ce que je voulais dire, c’est  : cela ne devrait pas exister. Cela a été ma ligne directrice sur la pièce. Pour le montrer, j’ai choisi de montrer des femmes révoltées. Montrer la réalité, pas démontrer, toucher à  l’émotionnel avec cette réalité. Sur la prostitution, je ne pense pas que le questionnement doive être «pour ou contre». C’est la parole qui est essentielle. C’est cela qui permet de changer le regard.

BM : Oui. Pour dépasser les clichés, il faut vraiment pouvoir entendre les personnes. C’est ce que permet le théâtre. D’ailleurs, je pense qu’on pourrait montrer la pièce à  des « clients » en stage de responsabilisation. Je suis sùre que beaucoup pourraient être touchés. C’est une œuvre d’utilité publique. Le théâtre a cette magie qui fait que les gens se projettent dans les personnages. Et via le personnage du «client», ils ont un miroir de leur ridicule. Là , le théâtre est politique. Nous avons repris certains mots de « clients » célèbres, parus dans des tribunes dans la presse. On l’a mis en situation, avec un côté décalé. C’est une œuvre d’utilité publique.

Malgré le mouvement #metoo, il semble difficile en ce moment de faire entendre le mot « prostitution », lorsqu’on évoque les violences.

BM : En effet, les violences de la prostitution passent trop facilement à  la trappe. Ce n’est pas normal. On parle des violences faites aux actrices, ou en entreprise. Mais on ne dit pas que la violence est partout.

IL : Cela résonne forcément parce que dans le parcours de chaque femme, il y a toujours eu de la violence. A moindre échelle parfois, nous avons subi ce pouvoir masculin qu’on n’identifiait pas, mais qui marque, qui blesse, qui peut faire passer à  côté de certaines choses de la vie, notamment la sexualité. Tout ce qui touche à  ce côté prédateur qu’il y a dans la prostitution, nous touche toutes en tant que femme.

Nous les acteurs et les actrices, nous sommes là  pour porter les déformations de notre société, les crier haut et fort. C’est un sujet universel. Cette pièce ne montre pas du doigt les prostituées, mais montre des femmes sous emprise d’une société.

Blandine Métayer, vous êtes engagée depuis plusieurs années dans une dénonciation globale du sexisme. Qu’est-ce qui vous y a amenée ?

BM : En ce qui concerne l’univers de la prostitution cela a été sans conteste la rencontre avec le Mouvement du Nid et le mouvement Abolition 2012.
Plusieurs personnes du Nid étaient venues voir mon spectacle « Je suis top » qui traite de l’égalité pro et du sexisme ordinaire (j’ai écrit la pièce à  partir d’une quarantaine d’interviews de femmes que j’ai réalisé dans le monde du travail). Nous avons beancoup parlé, j’ai voulu en savoir plus. Je me doutais déjà  que les personnes prostituées n’étaient pas libres. Mais je ne savais pas qu’il y avait autant de violence quotidienne. Cela m’a amenée à  m’engager. En effet, comment peut-on se battre pour l’égalité entre les femmes et les hommes si la prostitution existe toujours  ?

Nous ne sommes pas des objets. On achète des objets, pas des êtres humains. Je pense qu’on ne peut pas être seulement sur la revendication d’égalité salariale, ou contre les violences conjugales. La prostitution c’est la violence absolue. De même, quand j’ai rencontré Maudy Piot[[Présidente fondatrice de FDFA, décédée le 25 décembre 2017.]]] et qu’elle m’a raconté ce qui se passe pour les femmes handicapées, j’ai senti tout de suite aussi le besoin de m’engager. Je suis marraine de FDFA et très fière de l’être!