Magali : « Maintenant, je sais que c’est possible. »

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Magali a 23 ans. Aujourd’hui, elle crie sa joie d’être une des premières à avoir obtenu un des parcours de sortie de prostitution prévu par la loi de 2016. Pour elle, et pour sa fille, c’est l’espoir d’un avenir meilleur. Née au Congo Kinshasa, elle a été victime de la traite et amenée en France pour la prostitution. Enceinte d’une enfant née française, elle a pu échapper à son réseau et venir en région parisienne. Mais sans papiers, sans ressources et sans éducation, elle n’avait d’autre issue que la prostitution. Son parcours vers la sortie de prostitution, accompagnée par le Mouvement du nid, a été long et tortueux. Mais aujourd’hui, l’avenir lui est ouvert, enfin.

Une enfance au Congo Kinshasa

Je suis née dans une famille que je ne connais pas. Je ne connais ni mon père ni ma mère.

On était 3, ma grande sœur, 15 ans, mon frère, 12 ans, si je ne me trompe pas. J’avais 5 ans. On nous a amenés à Kinshasa chez une tante que je ne connaissais pas. On était hébergés comme des enfants orphelins parce qu’on n’avait pas de papa, et notre maman était un peu folle. On nous faisait travailler jour et nuit, comme des esclaves. Même quand j’avais 5 ans je travaillais, dans un restaurant que la tante avait. On lavait les assiettes, on faisait tout. On a grandi comme ça. Des fois on partait à l’église catholique pour apprendre à lire à écrire. 2/3 fois par semaine. On ne pouvait pas aller à l’école. Pour les enfants pauvres comme nous, c’est comme ça que ça se passait.

Quand j’ai eu 10 ans, ma sœur Lisette, qui en avait 20, est partie, on est restés avec mon frère. Les gens demandaient où elle était, et ont commencé à dire qu’elle était une sorcière. Alors, on a dit que nous aussi on était des sorciers, on nous a envoyés dans une église pour nous donner des médicaments, nous exorciser. Pendant une semaine, on n’a eu ni à boire ni à manger. Mon frère s’est enfui. Moi je ne savais pas où aller. Le pasteur a appelé ma tante qui est venue. Il lui a dit que maintenant ça allait bien, que je n’étais plus une sorcière.

Elle m’a ramenée à la maison. Tous les jours elle me traitait de sorcière, elle me disait « tu vas pas m’envouter, me manger ». Son mari m’a violée une fois. Je lui ai raconté, elle m’a insultée, a continué à m’accuser.

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A 14 ans, j’ai décidé de partir. Un jour, son mari a encore voulu me violer. J’ai pris un couteau je me suis défendue. Je l’ai blessé au bras, ça saignait beaucoup. Je me suis enfuie loin de la maison.

Je suis allée dans un marché, j’ai trouvé des copines comme moi. Avec elles, on a commencé à dormir la nuit dans le marché. On volait de l’argent, on faisait des petits travaux pour survivre. On a rencontré une dame dans un restaurant. Elle nous a demandé ce qu’on faisait là. Elle nous a dit qu’elle allait nous payer si on travaillait avec elle. Cette dame, elle gardait des prostituées. La nuit, c’était un hôtel de passe. Alors, on a commencé à être prostituées nous aussi. Le client payait 10 par exemple, elle nous donnait 3 et elle gardait 7.

Un jour, dans un dispensaire où on allait chercher des préservatifs, un monsieur nous a dit qu’il allait payer la dame qui nous exploitait. Il a dit qu’il allait nous emmener loin. Il a pris notre photo, puis est reparti. Il est revenu nous chercher moi, aussi Céline, Christiane, Candy, Christelle. Il nous a dit que là où on irait, on travaillerait la nuit, on gagnerait beaucoup plus. On ne savait pas où on allait.

L’arrivée en France

Quand on est arrivées à l’aéroport, il nous a donné des passeports avec des billets d’avion. Quand je suis arrivée en France, j’avais 17 ans. On nous a amenées à dans une petite ville. On y a rencontré une dame africaine qui nous a dit qu’on ne pouvait pas sortir de l’appartement où on était. « Le matin vous restez là, car si on vous attrape, on va vous refouler, parce que vous n’avez pas de papiers. Je ne veux pas que tout le monde sache ce que je fais là », elle disait.

La nuit, on nous prenait comme des esclaves, on nous mettait dans des hôtels, les clients nous emmenaient avec eux. Les clients, il y avait un prix pour celui qui avait des préservatifs, un prix pour celui qui ne veut pas de préservatif. La dame elle ne nous donnait rien à part à manger.

Assez rapidement, je suis tombée enceinte. On s’en est aperçues quand j’étais déjà à 3 mois de grossesse. Elle ne savait pas quoi faire avec moi, elle avait peur de m’emmener à l’hôpital, et qu’on me demande mon identité. Elle m’a emmenée dans une autre ville pour me faire avorter.

Elle m’a dit qu’il fallait mentir, dire que je venais d’arriver. Elle m’a menacé de me tuer si je racontais.

Là, on m’a mise dans une famille d’accueil. Je suis restée là-bas pendant 3 mois. J’ai appelé la dame (sa proxénète, NDLR) Je lui ai dit que j’allais devoir aller à la police. Elle m’a dit ce que je devais dire, que je devais dire que je ne connaissais personne en France. C’est ce que j’ai fait.

Reconnaissance de paternité

Quand j’étais presque à terme, elle m’a appelée et m’a dit qu’elle savait qui était le père de ma fille (un client qui ne mettait pas de préservatif). Je suis retournée au centre maternel, suivie par une femme de l’ASE (Aide sociale à l’enfance). Je n’avais pas encore 18 ans. J’ai accouché au séminaire. J’ai appelé le client qui était le père. Comme il était français, il a reconnu la petite. J’ai pu avoir des papiers. Je suis partie à Paris pour faire mon passeport. C’est là que j’ai commencé à appeler le 115. Je dormais par ci par là. On m’a autorisée à travailler pour 6 mois. Mais un jour on m’a appelée, on m’a demandé si j’avais donné de l’argent au Papa pour la reconnaissance. Parce qu’en fait il avait déjà reconnu 22 enfants… Bien sùr je n’avais pas donné d’argent, je n’avais rien.

A cette époque là, je me suis prostituée à nouveau parce que j’avais besoin d’argent pour nourrir ma fille.

Les assistantes sociales m’ont envoyée à la mission locale. La responsable est entrée en contact avec les assistantes sociales qui ont commencé à m’aider. Et puis j’ai participé à un week-end jeune maman (ma fille avait presque 1 an), j’ai raconté ma vie à une femme qui m’a dit qu’elle allait appeler quelqu’un qui s’occuperait de moi. Une association qui aide les personnes prostituées, et celles qui veulent s’en sortir.

Ce que je voulais, c’était de l’argent pour survivre. Je me prostituais pour donner à manger à ma fille et moi. Si une semaine j’avais assez d’argent, j’arrêtais. Et si je recommençais, c’était toujours pour donner à manger à ma fille.

La rencontre avec le Mouvement du Nid

Un jour, une femme du Mouvement du Nid m’a contactée pour savoir où j’étais. J’ai donné l’adresse de l’hôtel. Elle est venue me rencontrer, m’a demandé ce que je voulais qu’on fasse pour moi. Je lui ai dit que je voulais qu’on s’occupe de moi, que je n’avais rien à donner à ma fille. J’ai dit que je voulais arrêter. Le MDN est venu me secourir, me donner à manger, faire des courses pour ma fille, m’a hébergée. J’ai pu travailler un peu, avec mon titre de séjour, dans une société de lingerie, des contrats de 2/3 semaines, un mois.

Je me battais pour m’en sortir. A ce moment là, j’étais dans un appartement du Mouvement du Nid. Il y avait toujours des disputes avec ma colocataire. Je suis retournée à l’hôtel. Et c’est à ce moment là qu’on m’a retiré mes papiers à cause du père qui avait reconnu 22 enfants.

Je suis retournée encore à la prostitution parce que je n’avais pas le choix. Rapidement, j’ai été très mal, physiquement et psychiquement. Et puis j’ai rencontré Elsa qui est aussi suivie par le MDN. Elle a dit à Evelyne (la déléguée du Mouvement du Nid de l’Essonne, NDLR) qu’il fallait venir à mon secours. J’étais malade, je saignais, j’étais perturbée. Je ne voulais plus me prostituer.

La peur de l’expulsion, puis, enfin, le parcours de sortie, et l’espoir

En novembre 2016, Evelyne a repris contact avec moi. J’ai revu aussi l’autre femme du Nid. Je lui ai dit qu’on m’avait retiré mes papiers. Elle m’a alors parlé du parcours de sortie. Elle m’a dit : « Il y a une loi, vous avez le droit d’avoir des papiers ». J’ai crié de joie. On m’avait retiré mes papiers, mais pas à ma fille. Je n’avais pas de solution. C’était vraiment un espoir.

Je suis allée sur Google pour voir ce qui était écrit sur cette loi, je n’étais pas sùre. Et je ne savais pas où commencer. En même temps, j’avais peur. Je ne pouvais pas aller à la préfecture à cause de l’OQTF1. On m’a dit que tant que ma fille n’avait pas eu 3 ans de scolarité en France, on ne pouvait rien faire pour moi. Que c’était comme si elle n’était pas française ! Avec le MDN, on croisait les doigts pour que la commission se mette en place au plus vite, on attendait la loi !

Un jour, en mai 2017, j’ai été contrôlée pour le titre de séjour, on m’a menottée jusqu’au commissariat, on m’a donné un rendez-vous pour le mercredi suivant. Le mercredi, on m’a dit que je n’avais pas le droit d’être là, dans ce pays. On m’a mise en garde à vue. Je pleurais, je ne savais pas quoi faire. Après 8 heures de garde à vue, à 17h45, on m’a laissée sortir avec un papier d’expulsion. J’ai appelé Evelyne et mon avocate. On avait 48h pour faire un recours ! 
On est allées au tribunal administratif. C’était au mois de mai 2017, pendant le week-end de l’ascension. Au tribunal, heureusement, la juge a dit que ce n’était pas normal de vouloir m’expulser, que j’étais venue mineure, que j’étais une victime, que ma fille était française dans tous les cas, par le droit du sol. Ils ont obligé la préfecture à me donner un titre de séjour provisoire mais… sans autorisation de travail.

Heureusement, il y a eu la commission le 16 octobre pour le parcours de sortie, qui m’a été accordé. J’ai eu le courrier le 23. J’étais à La Poste. J’ai crié de joie comme une folle !

Je suis allée à la préfecture avec Evelyne, on m’a donné mon titre de séjour de 6 mois, et on m’a rendu mon passeport, qu’ils avaient depuis mai. Enfin !

J’ai arrêté la prostitution en 2016 quand je suis retournée au MDN. Depuis ça va mieux.

Le parcours de sortie, c’est une grande chance pour moi. J’ai pu travailler déjà un peu, j’ai un hébergement, en colocation avec une dame qui a 3 enfants. Je touche aussi 432 euros d’allocation pour moi et ma fille tous les mois (1)

La petite va à l’école, c’est juste à côté. En 3 mois, il y a déjà eu tout ça.

Je cherche du travail. Je voulais faire une formation de 18 mois, mais la dame de Pôle emploi m’a dit qu’avec un récépissé de 6 mois ce n’était pas possible. Dès que j’aurai ma carte de résidente, je vais aller la voir.

Je dis merci à mon dieu, aussi au Mouvement du Nid. Sans elles, je ne sais pas ce que je serais devenue. La loi, c’est super, mais avant déjà, elles ont été là pour moi.

La prostitution ? Je pense qu’il y a beaucoup de femmes ou d’enfants qui font ça, à cause de leur vie qui est dure, comme la mienne. Je faisais ça contre ma volonté. Il y avait beaucoup de violence dans la prostitution. Les clients ? Tu peux rencontrer un homme, il ne te donne rien. Il te frappe violemment, il te laisse comme ça.

La vie ne m’a pas donné la chance d’aller à l’école. Si j’étais allée à l’école, je serais devenue quelqu’un. De haut niveau. Maintenant que j’ai le droit de faire des formations, je vais les faire. Je vais chercher un bon travail et faire un effort pour l’avenir de ma fille. Je pense qu’elle n’aura pas la même vie que moi. Pour elle, ce sera mieux que pour moi.

Cette loi, ces parcours de sortie, c’est une bonne chose, parce qu’il y a d’autres personnes qui veulent arrêter et qui n’en ont pas les moyens. Qui n’ont rien. Et qui ont peur. Avec la chance d’avoir mon titre de séjour, j’ai pu me débarrasser de ça. Le matin, dès que je dépose ma fille à l’école, je pars chercher du travail. 
Maintenant, je sais que c’est possible. Je peux y arriver.