Lire la presse peut être désespérant si on a l’idée de mettre la focale sur les affaires de prostitution et de proxénétisme. Quelques jours, une semaine à peine, suffisent à en rappeler les tragédies et à tracer les contours d’une époque toujours marquée par une exploitation et des violences qui profitent aux proxénètes et sont censées assurer le « plaisir » des clients.
26 femmes. 26 migrantes. 26 nigérianes sans aucun doute, certaines très jeunes semble-t-il, entre 14 et 18 ans. Mortes. Noyées. 26 sur un canot pneumatique parti de Libye et perdu au milieu de la Méditerranée. L’Italie suspecte un réseau de prostitution, tant est curieux ce naufrage de clandestins qui fait uniquement des victimes féminines. On s’attendrait à ce que l’affaire, qui révèle toute l’horreur du sort réservé à des femmes et des filles trompées, violées et réduites à l’état de marchandises pour assouvir de prétendus « besoins sexuels » masculins, soulève au moins l’indignation. On en est pour ses frais.
Ainsi a commencé la semaine du 6 novembre 2017. Banalement, si l’on ose ce terme épouvantable. La mort de migrantes, la traite d’esclaves sexuelles! L’affaire a eu lieu en Italie. Mais la France n’est pas en reste. Dans les Yvelines, une gamine de 14 ans se retrouve aux mains de proxénètes qui l’ont prostituée par Internet(1). A Bagneux, une adolescente de 15 ans, recrutée via Facebook (2), subit les méthodes éprouvées des siens qui la menacent de diffuser des clichés compromettants sur les réseaux sociaux ou d’informer sa famille qu’elle « fait la pute » si elle n’obéit pas à leurs ordres.
Toutes les deux sont des jeunes filles en fugue, le profil rêvé pour les marchands de femmes qui usent et abusent de ces proies faciles, sans défense et sans recours. Encore un signe du rajeunissement croissant des victimes mais aussi des exploiteurs : un proxénète de 17 ans fait parler de lui pour avoir forcé à la prostitution une jeune femme de 21! qui avait elle aussi déserté le domicile familial (3).
Internet est bel et bien devenu un centre de recrutement pour les proxénètes de tout calibre. Les tests effectués par un journaliste des Inrockuptibles sont édifiants (4).
Décidé à aller voir ce qui se cache derrière les annonces de « rencontres » du site Vivastreet, il met à jour, preuves à l’appui, l’hypocrisie d’un site devenu un rouage majeur de la machine prostitutionnelle(5). Loin des canots pneumatiques rafistolés, la technologie sophistiquée met aussi beaucoup d’entrain à commercialiser la chair féminine. Pour des profits apparemment alléchants, comme toujours.
Une preuve supplémentaire en est donnée par l’émission « Compléments d’enquête » sur France 2, le 9 novembre au soir. Un reportage consacré à la prostitution de mineur.e.s montre que des milliers de femmes et de filles très jeunes sont livrées partout à la prostitution, dans les hôtels, dans les appartements, et que les réseaux de proxénétisme en tirent précisément, grâce à des sites Internet là encore, des profits colossaux. En toute impunité et dans l’indifférence générale.
Pendant ce temps, les prostitueurs restent des prostitueurs. Une page Facebook, conçue par des « escortes », publie des « Perles de clients » : des SMS qui révèlent, outre ceux qui veulent payer en chèques-vacances, le mépris et les violences quotidiennes d’hommes dont beaucoup négocient ferme pour satisfaire leur obsession, échapper aux « capotes ». Banalité là aussi, jusqu’à saturation. De quoi refroidir, toutefois, les aspirantes à la carrière!
La semaine a par ailleurs son lot de procès. En Belgique, un menuisier se voit menacé d’une peine de 20 mois de prison pour viol d’une prostituée (6). L’homme avait payé pour 15 minutes mais, une fois le temps écoulé, « il avait voulu continuer ». Si l’on comprend bien, il lui aurait suffi de regarder sa montre pour éviter les ennuis. A la 16e minute, l’acte qui, de la 1ère à la 15e, était considéré comme normal, est subitement qualifié de viol. La réalité de la prostitution est vite mise à nu quand l’argent ne sert plus de blanchiment à l’agression!
Une semaine ordinaire, donc, fait suite à d’autres semaines ordinaires avec leur déluge d’informations : candidates d’émissions de télé-réalité confiant les ponts d’or qui leur sont offerts pour devenir prostituées ; camions publicitaires pour les « sugar babies » garés devant les facs, vaste réseau de sud-américaines démantelé! Outre-Rhin, agents de sécurité commissionnés par des proxénètes pour inciter les jeunes migrants, y compris mineurs, à la prostitution.
Décidément la prostitution et le proxénétisme qui en est inséparable, avec leur cortège de viols et de sévices, occupent toute la largeur de l’écran. Une chose est sùre, ce n’est pas un sujet marginal mais bien une dimension majeure de nos sociétés qui en dit long sur la résistance du patriarcat et la cupidité du capitalisme.
(1) Le Parisien, 6 novembre 2017
(2)- Le Parisien, 5 nov. 2017
(3) 20 minutes, 2 nov. 2017
(4) -Les Inrocks, 4 nov. 2017
(5) Le MdNid a déposé plainte contre Vivastreet en décembre 2016
(6)- Lavenir.net, 6 nov. 2017.