« Pleasure », le film de Ninja Thyberg présenté aux festivals de Cannes et de Deauville et qui sort ce 20 octobre, porte un regard lucide, dur, mais parfois encore un peu complaisant, sur l’industrie de la prostitution filmée.
Attention spoiler. A la fin de « Pleasure », l’héroïne, « Bella », demande au chauffeur qui la ramène de soirée, à sortir de la voiture. « I want to go out ».
Après 1h45 de souffrance, c’est le moment où elle fait son premier vrai choix du film : sortir du piège dans lequel elle a semblé se mettre toute seule. Lors de la soirée dont elle revient, elle a croisé le regard de sa première colocataire à Los Angeles. Ce regard, vivant, l’a subitement réanimée. Cette ex-amie, elle l’a trahie, en ne prenant pas sa défense face à un énième acteur-violeur du milieu. Elle l’a trahie, parce qu’on lui a demandé explicitement de ne pas faire de vagues si elle veut devenir une star.
Bella en effet, veut réussir, elle est venue exprès de Suède pour ça. Or, pour réussir dans ce milieu où les femmes doivent être des sortes de « robots sexuels » sans désir ni volonté, il faut qu’elle accepte de tout faire, et surtout, de se taire. C’est la loi du silence.
Au coeur du film, Bella subit des « viols filmés avec barbarie et torture », comme les qualifierait le droit. La scène est insoutenable : Alors même qu’elle a demandé d’arrêter (le « stop » censé garantir « l’éthique »), elle est violée, tout en étant culpabilisée par ses agresseurs. Elle découvre alors qu’elle n’a aucun pouvoir, que personne ne prendra sa défense, surtout pas son agent, qui lui rappelle que c’est « elle qui avait demandé faire du hard », non ?
Le « pleasure », c’est pour l’agresseur
Le filet de la stratégie de l’agresseur, piège infernal, se referme sur les victimes, avec des complicités de tous les hommes à chaque étape : producteurs, agents, réalisateurs, acteurs qui le plus souvent sont aussi réalisateurs, tenant eux-mêmes la caméra en violant. Isolement des victimes, culpabilisation (« c’est toi qui l’as demandé explicitement »), dévalorisation…
…Jusqu’à la déshumanisation complète, un état de dissociation extrême incarné par la « Stiegler Girl » (du nom de l’agent star du milieu), dont elle a rêvé et suivi l’exemple depuis le début du film. Un piège qui la pousse à tout accepter, jusqu’à disjoncter. Dans une scène terrible, dissociée, elle viole avec violence cette « Stiegler Girl » dont le regard est perpétuellement éteint, pour allumer celui des hommes qui filment et regardent.
L’impunité des agresseurs enfin, est flagrante. Et elle est garantie par les fameux « contrats » avec « consentement » à telle ou telle pratique, signés par les actrices, qui montrent bien le piège. En effet, ces contrats servent avant tout aux producteurs-réalisateurs et aux acteurs à se prémunir contre des procès…en convainquant les victimes elles-mêmes de leur consentement, qui a d’ailleurs été filmé. En convainquant aussi, peut-être, malheureusement, les spectateurs·trices et les critiques, que c’est un consentement valable…
Y a-t-il quelque chose à sauver dans le porno ?
La dénonciation du film est donc claire. Sur la forme même, la réalisatrice adopte parfois un « female gaze », regard féminin. Lors des viols filmés, on voit la tête des agresseurs, hideusement tordue et haineuse, et c’est donc le point de vue, le ressenti de la victime qui est mis en avant.
Mais il reste pourtant une volonté de « sauver quelque chose » du « porno ». Le film ne nous montre que très rapidement, lors d’un salon à Las Vegas- ceux par et pour qui toute cette violence existe. Les mâles lambda qui se masturbent sur des scènes de viols filmés, quoi que montrés dans toute leur banalité et leur horreur, ne sont pas remis en cause.
Ainsi, tout en ayant tous les éléments pour montrer la réalité de cet enfer, la réalisatrice, refuse une condamnation sans appel. La promotion du film ne trompe pas : on parle beaucoup des scènes les moins violentes, celles où s’exprimerait la « sororité » entre femmes. Et préserver le leurre d’un « porno éthique » ?
Pour autant, si on accepte de voir la réalité, la fin est sans ambiguïté. Ainsi, dans la voiture, lors de la scène finale : lorsque Bella s’excuse auprès de la « Stiegler Girl », assise à ses côtés, de l’avoir violée, cette dernière, totalement dissociée lui répond : « désolée, mais de quoi » ? C’est alors que Bella sort de la voiture. Elle sait.
La seule façon de survivre à l’enfer de « Pleasure », c’est d’en sortir.
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