Proxénétisme de mineures : où sont les « clients »?

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Articles, reportages, films, séries télé1, la « prostitution des mineures » n’a jamais fait couler autant d’encre. Face à l ‘ampleur des faits et à la fréquence des procès pour proxénétisme sur des ados de 14 ans, voire moins, cette prise de conscience est a priori une bonne nouvelle.

Il manque toutefois un maillon à ce réveil généralisé. Mais où sont les « clients » ?

Car si les articles et séries détaillent les circonstances et les contextes, s’ils s’attachent aux méthodes des manipulateurs que sont les proxénètes, leur fascination pour « la prostituée », quel que soit son âge, finit toujours par occulter l’essentiel. Sans les hommes qui se croient autorisés à franchir la ligne pour assouvir de prétendues pulsions, la « prostitution des mineur.e.s » n’existerait tout simplement pas.

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Pourquoi un pareil « oubli » ? Un tel déni, une telle complaisance ? Pourquoi une telle ignorance de l’interdit majeur affirmé par la France le 4 mars 2002, réitéré et élargi le 13 avril 2016 ? Deux lois, ce n’est donc pas assez ? Des peines de 3 ans de prison et 45.000 € d’amende, et jusqu’à 5 ans et 75.000 €, c’est un détail  ? Qu’elles soient portées à 20 ans pour viol depuis 2021 si l’achat d’acte sexuel porte sur un.e mineur·e de 15 ans, n’a pas suffi à frapper les esprits ?

Articles et caméras préfèrent centrer leur intérêt sur les jeunes filles (victimes à 95 %), présentées comme les actrices principales d’un système qui serait du à leur goût de « l’argent facile ». Pourquoi pas plutôt sur leurs prédateurs, majeurs en âge de réfléchir, qui les anéantissent ? Non, elles ne se prostituent pas. Non, ce ne sont pas des « prostituées », étiquette qui leur est immédiatement attribuée. On les prostitue. On les agresse. Onles viole. « Proxénétisme sur mineur.e », « agression sexuelle sur mineur.e », « viols sur mineur.e » seraient plus à même de décrire la réalité des faits.

La loi de 2002, qui sanctionne leurs « clients », comme celle de 2016, qui étend l’interdit à tous les âges, sont peu appliquées. Les procès de « clients », rares, sont détournés, quand ils existent, en débats sans fin sur l’âge apparent des victimes. Un homme a ainsi été condamné en décembre 2020 à 300 malheureux euros d’amende pour avoir imposé un rapport sexuel à un garçon de 15 ans2. Il lui a suffi de dire que l’âge de 19 ans était indiqué sur le site et qu’il ne s’était rendu compte de rien à cause de ses lunettes de soleil.

Occultés, excusés, innocentés… Il est un peu facile de s’alarmer à longueur de colonnes et de ne rien faire pour sensibiliser l’opinion à l’interdit absolu qui vise les clients prostitueurs. Une grande campagne serait d’utilité publique pour leur faire connaître les peines qu’ils encourent et les violences qu’ils exercent. Alcool, drogues, agressions, destruction physique et psychologique, vies fracassées… c’est le sort de leurs victimes. Rien qui puisse relever de l’« argent facile » et de l’emplette frivole de nouveaux sacs à main.

Les années passent, les lois montrent une évolution certaine des consciences. Pourtant, le présupposé, inconscient celui-là, reste l’irresponsabilité des « clients » au masculin, quand la victime, au féminin, est vite soupçonnée de futilité et, inévitablement, de vénalité. Vieux réflexe patriarcal dont les racines séculaires résistent décidément à l’éradication.

1Fugueuses, bonne série par ailleurs, « oublie » totalement l’existence des prostitueurs.

2Ouest-France, Condamné à 300 € d’amende pour recours à de la prostitution, 18/12/2020

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.