Une « théorie » en montagnes russes : Despentes allie en un seul ouvrage l’analyse la plus acérée à la répétition abrutie des lieux communs.
Ce n’est pas un bouquin, c’est une claque. Virginie Despentes ne passe jamais inaperçue depuis le fameux Baise-moi, qui avait déchaîné la critique et la censure. Moche
et mal baisée
, c’est elle qui le dit, elle vide son chargeur.
La mystique masculine, le contrôle de la sexualité féminine, la terreur physique et morale qui a fait des femmes des êtres de seconde zone, tout y passe. Despentes flingue tout sur son passage: le marché de la séduction, le bénévolat féminin au quotidien, l’aliénation à tous les étages; tout ce qui cantonne les femmes au rôle de petites choses sans danger et bien à leur place.
Le morceau le plus terrible, le plus juste, acéré comme une lame, revient au récit de son viol. Un viol vécu comme un trauma de guerre, un moment indicible impossible à liquider, un élément fondateur qui la défigure
et qui la constitue
. Despentes dit la haine, la violence qu’elle garde au ventre. Imperméable à la plainte mais douée pour le coup de gueule décapant, elle procède à une analyse implacable du viol comme programme politique
, rituel sacrificiel
, socle de nos sexualités
.
Happé par la lecture comme par la marée haute, on est d’autant plus stupéfait-e de lire le chapitre consacré à la prostitution (à la pornographie aussi d’ailleurs). Despentes a été prostituée. Elle le dit : le viol fabrique les meilleures putes
. Et plus rien. Fini la salutaire colère et la rage guerrière.
Despentes remballe son P 38 pour se mettre au napperon en dentelle. Les clients ? Ils sont gentils
. Il est question de charité
, de soulagement des hommes
. De talons aiguille et de leur impact sur la gent masculine. Voici venu le temps des concessions doucereuses. De la revendication tiède. Plus de problème si l’on est bien rémunérée. Comme si l’analyse percutante se heurtait subitement à un mur.
Troublant pour une fille qui veut tout foutre en l’air
.