Mauvaises filles, le film d’Emerance Dubas sort ce 23 novembre au cinéma est un documentaire exceptionnel pour donner la parole à des femmes, enfermées et maltraitées enfants et adolescentes dans des maisons de correction.
« Il restera quelque chose de cette vie de chien ». Ainsi s’achève Mauvaises filles, un film sur la parole et sur le silence, sur celles qui ont été placées à la marge et sur ce que cela dit de ceux qui exercent le pouvoir.
Ce film, ce sont les paroles, les vies de quatre femmes, Edith, Michèle, Evelyne et Fabienne. Leurs histoires ont eu lieu à des époques différentes, entre 1933 et 1974. Toutes ont leurs particularités, mais la violence qui les traverse est la même.
A voir également, notre interview de la réalisatrice Emerance Dubas
L’isolation, le maintien dans le silence, dans la culpabilité d’être ce qu’elles sont : des femmes. Des années après, Michèle se demande si finalement son tempérament peu vindicatif l’aurait amenée à se retrouver dans cette institution, à se laisser considérer comme « une fille dont on ne peut rien tirer », comme disait sa mère. Sa fille et ses petites-filles lui rappellent les fois où elle a dit non, où elle ne s’est pas laissé faire. Comme si elle avait oublié sa propre capacité de résistance. L’inversion de la culpabilité est toujours là, le patriarcat a marqué ces femmes au fer rouge.
La parole aux mauvaises filles
« Au début, le projet n’attirait pas grand monde (…), explique la réalisatrice. ‘Un membre de commission m’a même demandé : ‘est-ce que ces femmes racontent toutes la vérité ?’ C’est précisément cette remise en cause de la parole des femmes qui les a empêchées de parler si longtemps ! » poursuit-elle.
Les « mauvais garçons » étaient placés dans des internats publics, les « mauvaises filles » étaient placées en marge de la société, dans des congrégations religieuses privées. L’espace public leur était interdit. Elles ont été victimes d’un système d’enfermement. « La honte, l’enfermement, l’humiliation, la maltraitance avaient pour objectif de contrôler les corps féminins », affirme Emerance Dubas.
Le silence imposé a contribué à effacer la responsabilité de notre société face à cette histoire collective. L’étiquette-injonction « mauvaises filles » a permis de faire comme si elles n’avaient pas été violentées, déconsidérées, oubliées.
Lorsque leur désobéissance était insoutenable pour l’institution, elles étaient envoyées au mitard. Enfermées pendant des jours, des semaines…. Dépossédées de leur identité, de leur estime d’elles-mêmes. Et leurs bourreaux avaient les mains propres, c’était si facile de ne rien voir… Elles étaient « mauvaises », c’est tout…
A lire également : Mauvaises filles, une exposition à la PJJ
Livrées à elles-même à leur sortie de la congrégation, les violences vécues à l’intérieur du foyer continuaient de les façonner. Fabienne parle de sa vie après, du jeune homme à qui elle a fait confiance, ne sachant pas à qui d’autre faire confiance… le même jeune homme qui l’a ensuite prostituée, à ses amis, à plusieurs hommes en même temps. Grâce au film, elle parle comme rarement elle a pu parler. Et le système de repérage par les proxénètes de victimes vulnérables à leur sortie des institutions implacablement décrit par une de ses victimes.
Evelyne se bat aujourd’hui pour faire reconnaître par la société qu’elles ont été des victimes, pour que la congrégation du Bon Pasteur fasse plus que de brèves excuses.
Dans le film, elle consulte son dossier de placement. C’est un miracle qu’elle ait pu le récupérer. Elle y découvre que ses parents ont essayé de la retrouver et de la reprendre chez eux, sans succès. Elle ne le savait pas. Elle ne savait pas qu’elle avait été aimée.
Ce documentaire passionnant et émouvant est aussi un récit de « survivantes » pour celles qui n’ont pas pu parler, qui n’ont pas trouvé la force, qui ne la trouveront peut-être jamais.
Un film majeur pour ne pas oublier la souffrance silencieuse de celles qui ont dû se taire parce qu’elles étaient des femmes, donc à contrôler, surtout lorsqu’elles n’entraient pas dans le moule. C’est enfin un film sur la force de vie qui existe en chacune d’elles, en chacune de nous.
A voir au cinéma dès le 23 novembre