A travers le portrait de quatre femmes prostituées qui partagent le même destin à Marrakech, c’est toute la condition des femmes que le réalisateur dessine en filigrane. Une fiction très contemporaine et sans concession, à la portée documentaire.
La sortie du second long métrage du réalisateur franco-marocain ne s’est pas faite sans douleur. Le film est censuré au Maroc, le pays lui ayant refusé le visa d’exploitation avant même toute demande. Ayouch et ses actrices ont été menacés de mort et l’un des acteurs a même été agressé à Casablanca.
Il faut dire que le réalisateur ne nous épargne rien, à part peut-être le proxénétisme, abordé uniquement par le prisme d’intermédiaires qui touchent des commissions. Ayouch aura préféré s’attacher à des personnages de femmes maitresses de leur petite entreprise. Tourné en quatre semaines, le film se concentre sur un quatuor de prostituées qui partagent un appartement dans un quartier populaire. A leur tête, Noha, la grande gueule leader du groupe vise les riches clients occidentaux ou saoudiens. Le réalisateur n’est d’ailleurs pas tendre avec ces derniers : il choisit d’ouvrir son film sur une grande fête dans un palais cossu avec piscine où les hommes traitent les femmes comme des chiennes qui, après avoir exécuté des danses sexuelles, rampent par terre pour ramasser l’argent. Ni esthétisante, ni voyeuriste, ni dans la surenchère glauque, la caméra de Nabil Ayouch adopte un style volontairement documentaire qui donne une étonnante justesse au film, toujours à la bonne distance. Le sexe est plus parlé que montré, bien présent toutefois sans aller jusqu’à la pornographie, et Ayouch n’hésite pas à aborder sans détours les sujets les plus tabous (et pas seulement pour la société marocaine actuelle) : homosexualité masculine et féminine, fille mère rejetée par sa famille après un viol, prostitution des enfants et de femmes de plus en plus jeunes, fausses couches, drogue, viols, conséquences crues des rapports sexuels non désirés… Tout cela toujours dessiné finement, sans apitoiement ni gros traits.
A aucun moment, qualité remarquable, le film ne sombre dans le misérabilisme ni le voyeurisme. Il demeure pourtant sans concession. Le rapport de classe est là en évidence, sans démonstration aucune et dans toute son injustice. Noha, soutien financier d’une famille sans père, n’en est pas moins sévèrement jugée jusqu’à être chassée par sa mère à cause des rumeurs grandissantes.
Le film va crescendo, fêtes sur fêtes, alcool et drogue omniprésente, jusqu’à provoquer un certain écœurement qui s’achève par une scène de viol insoutenable ; celui de Noha dans le bureau du flic ripou qui a pour habitude de lui soutirer de l’argent en échange de son silence.
Le seul ami masculin de ces jeunes femmes, c’est leur chauffeur de taxi attitré qui leur sauve la mise à différentes reprises. Lui aussi pourtant vit de leur prostitution. Quant au « gentil français », un homme marié qui se dit amoureux de Noha, il reste incapable de la sortir de sa condition.
Le titre Much Loved (bien-aimé) résonne alors comme une ironie tant c’est bien sur la solitude que le récit s’achève. Une solitude contrebalancée par une force de vie et une solidarité envers et contre tout qui traverse ce film dur et violent, de cette violence sans outrance qui se contente de la simple exposition des faits.
Les censeurs marocains ont justifié l’interdiction par la mauvaise image des femmes que le film renvoyait. Il semblerait pourtant que le reflet le moins reluisant qui en émane soit bien celui des hommes auxquels le récit ne trouve aucune excuse.
Le réalisateur signe ici un film au réalisme fort, contemporain et universel sur la condition des femmes et des personnes prostituées.