C’est dans le Londres de Jack l’Éventreur et des romans d’Anne Perry que nous emmène cette réédition du reportage de William Thomas Stead, rédacteur en chef de la Pall Mall Gazette, journal progressiste des années 1880.
Soutenu par Joséphine Butler, Stead entreprend une croisade
dans le labyrinthe de ce moderne « Minotaure » qu’est Londres, ville affamée de jeunes vierges.
Durant un mois, il parcourt les quartiers pauvres de l’East End, pour interroger les entremetteuses, patrons de bordel, sages-femmes chargées de certifier la virginité de la marchandise
et jeunes filles perdues
.
Son but ? Rassembler des documents irréfutables à l’appui d’une enquête publiée en quatre livraisons, en juillet 1885. Il s’agit de peser sur la législation anglaise qui fixait à 13 ans l’âge légal du consentement sexuel pour la jeune fille. Cet âge atteint, elle est livrée de son plein gré
à toutes les entreprises de séduction, toutes les violences.
Les conséquences de cette loi, il les montre dans leur réalité la plus crue : droguées, intimidées, leurrées de promesses de travail, des centaines de petites filles de 13 à 15 ans sont livrées à de riches « clients », friands de vierges à déflorer pour quelques livres. Dans une société et à une époque où la virginité d’une fille est son bien le plus précieux, elles sont ensuite le plus souvent rejetées et acculées à la prostitution.
Si les multiples témoignages rassemblés n’échappent pas à un certain sensationnalisme, l’enquête a le mérite de démonter les rouages de ce que l’auteur appelle une vaste organisation criminelle
et de n’épargner personne, d’une partie de la police complice
aux membres de l’aristocratie, bénéficiaires – jamais inquiétés – de ce trafic.
Face au scandale sans précédent qui secoue l’Angleterre, la chambre des Communes vote le relèvement de l’âge légal du consentement de 13 à 16 ans et aggrave les poursuites contre les proxénètes.
Grande victoire pour celui qui écrivait, dans le mot précé- dant son enquête : L’esclavage a disparu (…) la torture a été abolie. Ne pouvons-nous pas, par conséquent, espérer que, si nous cherchons à faire notre devoir envers nos sœurs et nous-mêmes, nous réduirons sensiblement cette plaie de la prostitution, si nous ne réussissons pas à l’extirper complètement ?