Le proxénétisme de mineur·es, s’il a toujours existé, attire plus aujourd’hui l’attention des médias. Les affaires se multiplient devant la justice. Peu à peu, la prise en compte des violences subies par les victimes, grâce à des associations et des avocat·es engagé·es, s’améliore. L’exemple du procès du proxénète de la jeune Muriel est éclairant.
L’avocat du Mouvement du Nid donne son éclairage sur ce procès
Nous avons échangé avec Maître Quentin Dekimpe, l’avocat du Mouvement du Nid, partie civile dans le procès. Mal construit à l’origine, avec une tendance à la mise en accusation de la victime, le dossier s’oriente, par l’intervention de Quentin Dekimpe, vers la qualification de viol et la Cour d’assises. Il aura fallu sept ans pour que soit condamné le proxénète de Muriel.
Comment avez-vous obtenu de renverser cette logique ?
Suite à une ordonnance de renvoi, un autre juge a été saisi de l’affaire. Il s’est orienté vers la qualification de proxénétisme, jugeant qu’il n’y avait pas assez de preuves de viols. En tant qu’avocat de Muriel à l’époque, je suis intervenu. Il y a eu un appel. J’ai contesté le choix d’un procès en correctionnelle et défendu la qualification de viol. Traditionnellement, pour des faits de proxénétisme, le tribunal présumait le consentement. C’est d’ailleurs ce qu’a fait valoir l’accusé : ces relations sexuelles étaient « consenties »… Nous avons obtenu la requalification pour viols et la Cour d’assises. Mais il s’est agi d’un long combat.
Sur quels arguments avez-vous pu faire
reconnaître les viols ?
Pendant une heure de plaidoirie, j’ai rappelé ce qu’est un viol. J’ai développé les phénomènes d’emprise de l’agresseur sur la victime, qui expliquent pourquoi elle retourne vers lui, la dissociation que vit cette dernière, un mécanisme de défense qui éclaire le fait qu’elle puisse rire au lieu de montrer de la souffrance.
Et j’ai insisté sur les conséquences psychologiques et physiologiques d’une telle expérience ainsi que sur les stratégies de l’agresseur. Je n’ai pas une formation poussée en psychologie des victimes. Mais, j’ai appris ce qu’est la sidération et je sais que la notion de consentement est loin d’être claire. J’ai abordé le dossier de façon très factuelle.
Le consentement ? Non, la jeune fille était mineure. Elle n’avait quasiment aucune liberté, était très vulnérable puisqu’en fugue, et subissait des violences de la part d’un type de deux mètres. Il suffisait de voir la personnalité de cet homme, son absence de limites, sa transgression permanente, pour comprendre qu’il était impossible à Muriel d’exprimer la moindre opposition. Les éléments matériels étaient là. On n’était pas dans le « parole contre parole ». Le jury populaire a très bien saisi les faits. On était dans du concret, pas dans des arguties juridiques.
Il reste du travail en matière de formation des magistrats ?
La première instruction, à charge contre la victime, en est la preuve. Mais aussi l’ignorance de certains experts. Les psychologues et psychiatres, par exemple, ont bien admis les phénomènes d’emprise d’un point de vue psychologique mais n’ont rien pu dire du plan physiologique. Les « sachants » ne savent rien sur les études en neurobiologie qui montrent que, face à un stress trop violent, le cerveau de la personne opère un court-circuit. Ce détachement, cette « indifférence » est une question de survie. Les affaires de terrorisme vont sans doute permettre de développer des études sur ces questions.
En quoi la condamnation pour viols est-elle une victoire décisive ?
Les représentations du viol restent ancrées : de nuit, par un agresseur inconnu… mais les choses bougent. L’effet #metoo et la loi sur la prostitution de 2016 ont contribué à faire avancer les consciences.
Ils aident les magistrats à aller plus loin et les légitiment dans leurs prises de décision. Et il y a des comportements que la société ne tolère plus.
Quand un proxénète couche avec la personne qu’il prostitue, la situation de contrainte est caractérisée, à plus forte raison quand il s’agit d’une mineure. Il faut avancer sur la reconnaissance de ces viols. Une cinquantaine de dossiers pour proxénétisme sur mineur·es sont actuellement ouverts en Seine-Saint-Denis. La reconversion des dealers en proxénètes n’est pas un mythe.
Ces dossiers concernent en majorité des jeunes filles étrangères, souvent fugueuses. Il y a très peu de renvois sur la qualification de viols. Il reste donc beaucoup de travail pour que les dossiers, et les condamnations, soient traités de façon adaptée.