Prostitution sur internet : l’avenir du proxénétisme?

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Ce n’est plus un secret, la prostitution s’est déplacée ces dernières années de la rue vers Internet. Les sites proposant des personnes prostituées se sont multipliés et des affaires commencent à défrayer la chronique judiciaire. Pour Myriam Quéméner[[Auteure, avec Joël Ferry, de Cybercriminalité, un défi transnational, 2e édition – éd Economica, 2009.]], magistrate au service criminel de la Cour d’Appel de Versailles et experte auprès du Conseil de l’Europe en matière de cybercriminalité, leur prolifération est devenue « un vrai sujet de préoccupation ».

Pourquoi cette explosion de la prostitution par Internet ?

Internet est l’outil idéal pour les activités clandestines : discrétion, anonymat, faible coùt d’accès, facilité de gestion des contacts… Il favorise la multiplication des infractions et est notamment utilisé comme une maison de vente par correspondance, que ce soit pour le matériel pornographique ou pour la vente des êtres humains.
Les trafiquants proposent des guides spécialisés en ligne pour les touristes sexuels et les clients de la prostitution et mettent en ligne de prétendues agences matrimoniales, ou propose des services de massages par exemple. Cette cyberdélinquance a aujourd’hui un caractère mondial.

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Ces sites relèvent-ils de ce que le droit appelle « proxénétisme » ?

L’éditeur d’un site Web, support d’une activité de prostitution, peut bien entendu être poursuivi pour proxénétisme. Proposer des services à caractère sexuel moyennant rémunération relève de l’article 225-5 du Code Pénal : le fait d’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui de quelque manière que ce soit. Un webmaster risque dix ans de prison. On compte actuellement environ dix arrestations par an en moyenne. L’Ocrteh[L’Office central de répression du trafic des êtres humains. À lire sur notre site : [.]] a démantelé récemment un réseau qui envoyait aux clients, qui avaient fait leur choix sur un catalogue en ligne, le numéro de chambre par SMS.

Qui sont les responsables de ces sites, où les hébergent-ils en général ?

Les responsables peuvent être des individuels mais aussi des réseaux, des mafias. Monter un site, c’est facile, il suffit de l’héberger dans un pays où il n’existe pas de législation en la matière. Les sites sont donc hébergés dans des cyber-paradis, des pays où aucune législation ne peut les réprimer ; aux USA par exemple où le premier amendement de la Constitution, qui garantit la liberté d’expression, permet à toutes sortes de sites d’exister, y compris des sites racistes et xénophobes, la seule répression portant sur la protection des mineur-e-s. Les sites choisissent aussi des pays laxistes comme certains pays de l’ancien bloc de l’Est. Et bien entendu des pays où la législation sur le proxénétisme diverge de la nôtre et se montre beaucoup moins répressive.

Que sait-on de ces réseaux ?

La nouveauté, c’est que, contrairement au passé où chaque type de délinquance était spécialisé, la mondialisation a amené des connexions entre les différents domaines de criminalité. Ces sites de prostitution sont aujourd’hui liés à d’autres activités criminelles. Ils peuvent ainsi servir à financer le commerce d’armes ou le terrorisme. Il y a des connexions entre mafias, avec beaucoup d’affaires dans les pays de l’Est depuis la chute de l’ancien bloc soviétique.

Comment s’y prennent-ils pour recruter leurs victimes ?

Internet est un moyen de recrutement extraordinaire. De nombreux sites de proxénétisme se dissimulent sous des abords anodins : petites annonces pour des jobs, rencontres, faux contrats de travail. C’est assez pervers. Il ne s’agit pas forcément de sites explicites, mais de sites qui recrutent pour de petits jobs, par petites annonces. Cela peut passer aussi par des forums de discussion, avec une apparence d’échanges, de rencontres anodines. Il est évident qu’il va y avoir utilisation des réseaux sociaux et des forums, avec détournement des carnets d’adresses. Ce sera de plus en plus dissimulé.

De quels moyens d’action dispose la police face à des adversaires aussi invisibles et mouvants ?

Les procédures sont difficiles à monter, ce ne sont pas des infractions faciles à démontrer ; il faut prouver qu’il y a bien des relations sexuelles par exemple. Les enquêtes sont complexes, les auteurs se jouent des frontières et on se heurte à la souveraineté des états. Il faut des enquêtes d’initiative afin d’établir les infractions.

Je pense à une affaire exemplaire, un site réfugié hors Schengen ; un commissariat a fait un travail de fourmi entre les pays de l’Est et la France. La difficulté, c’est aussi, quand on ferme un site, qu’un autre rouvre aussitôt, ailleurs, éventuellement dans un autre pays. Si l’éditeur se trouve en Europe, il peut être poursuivi grâce au mandat d’arrêt européen qui conduit à l’extradition du ressortissant vers la France.

Il y a quelques progrès dans la coopération. Avec certains pays de l’Est, par exemple : la Roumanie, qui souhaite changer d’image, a adhéré à la Convention sur la cybercriminalité. Nous avons une bonne coopération. De même en Slovénie, avec qui nous avons une équipe commune d’enquête.

Comment avancer face aux nouvelles dimensions de cette cybercriminalité ?

On a ce qu’il faut au niveau des textes et des acteurs motivés. Il faut définir une politique pénale en la matière, mettre en route une meilleure coopération internationale, faire adhérer les pays à la Convention sur la cybercriminalité, renforcer les formations pluridisciplinaires sur les aspects juridiques et techniques, lancer des campagnes de prévention, notamment à destination des jeunes majeures. Pour les mineur-e-s, nous disposons d’une législation parfaite. La répression du proxénétisme est aggravée s’il concerne un mineur et s’il s’effectue par le biais d’Internet (10 ans et 1 500 000 euros d’amende).

Proxénétisme en ligne – Des affaires exemplaires

– Le plus gros site européen d’escort-girls est démantelé en juillet 2009 à Clermont-Ferrand. Les policiers constatent que des jeunes femmes « escortes » effectuent des tournées dans toute la France, dans des hôtels 3 étoiles. Originaires pour la plupart d’Europe de l’Est ou d’Europe centrale, elles sont référencées moyennant 200 à 900 euros d’inscription mensuels. Le site est hébergé en Slovaquie et propose les « services » de 7.500 jeunes femmes prostituées à travers toute l’Europe (1700 en France).

Neuf personnes ont été interpellées en France et en Slovaquie. Une commission rogatoire internationale a été lancée contre le cerveau du site, un Suisse de 35 ans. Le mandat d’arrêt lancé par la justice française contre cet homme est très lourd : proxénétisme aggravé, association de malfaiteurs, traite des êtres humains. Mais il vit tranquillement en Suisse où le proxénétisme n’est pas réprimé. Il a d’ailleurs protesté qu’il ne faisait rien d’illégal et se contentait de venir en aide aux jeunes femmes en leur permettant de se faire de la publicité.

Le webmaster du site français empochait 20.000 € mensuels et le trafic, selon la police, rapportait 3 millions d’euros par mois à l’organisation criminelle.
A peine fermé en Slovaquie, le site Internet a rouvert aux Etats-Unis.

– Le 8 mars 2007, le Tribunal de Grande instance de Bobigny a condamné pour proxénétisme un développeur de site Internet pour prostituées. Il a été reproché à ce dernier d’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui en créant, moyennant rémunération, ce type de site web.

– Des sites communautaires (blogs, forums de discussion, Dailymotion….) ont été récemment considérés par la jurisprudence comme des hébergeurs, et à ce titre non responsables des contenus qu’ils hébergent, tant que le caractère manifestement illicite ne leur est pas signalé. C’est ce que l’on appelle la responsabilité « allégée ».

La Convention du Conseil de l’Europe, novembre 2001

Les nouvelles technologies bousculent les principes juridiques existants, généralement applicables à l’intérieur de frontières, et obligent à forger un droit international.

La Convention sur la cybercriminalité du Conseil de l’Europe entré en application en juillet 2004 est ainsi le seul instrument international contraignant concernant la cybercriminalité. Il oblige les états à adapter leur législation aux défis posés par les nouvelles technologies, impose de nouvelles procédures pour faciliter les enquêtes et sert de cadre pour la coopération internationale.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.