Suède : bilan positif pour la loi qui pénalise les « clients » prostitueurs

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La Suède persiste et signe, encouragée par le franc soutien de l’opinion publique à la loi. Selon le rapport, la loi a eu l’effet attendu et est un instrument important pour prévenir et combattre la prostitution.

Un rapport du ministère de la Justice paru en Suède le 2 juillet 2010[Un résumé en anglais est disponible sur le site du ministère [Ban on purchase of sexual services. An evaluation 1999-2008.]] conclut au succès de la loi qui pénalise les clients prostitueurs. En vigueur depuis 11 ans, cette disposition a fait couler beaucoup d’encre. Pour la première fois, un pays adoptait une loi franchement féministe en renversant les schémas traditionnels : au lieu de pénaliser les personnes prostituées, la Suède braquait les projecteurs sur le responsable essentiel – et furtif – de l’existence et du développement du système prostitutionnel, le « client ». Il est interdit d’acheter un « service sexuel », déclarait cette loi d’un genre nouveau, menaçant les contrevenants d’amendes et même de peines de six mois de prison. Cette disposition, adoptée au nom de l’exigence d’égalité entre les femmes et les hommes, est en Suède une des mesures d’une loi globale intitulée Kvinnofrid[[« Kvinnofrid » peut se traduire en français par « La paix des femmes ».]]. Cette loi, destinée à lutter contre l’ensemble des violences faites aux femmes, fut votée en janvier 1999 par un parlement constitué de 43% de femmes.

Des contrastes spectaculaires avec les pays voisins

Le rapport, qui indique que toutes les personnes poursuivies entre 1999 et 2008 ont été des hommes (moyenne d’âge, 43 ans) condamnés à de simples peines d’amendes, se félicite d’une diminution de moitié de la prostitution de rue, diminution qu’il attribue directement à la criminalisation des prostitueurs. Il constate l’écart spectaculaire qui s’est installé avec les pays voisins, Danemark et Norvège, qui avaient un nombre comparable de femmes prostituées avant la loi de 1999, nombre qui a explosé ces dernières années. Face à cette situation, la Norvège a d’ailleurs adopté à son tour, en 2009[Voir sur ce site : [.]], une loi sur le « modèle suédois », loi qui, selon le rapport, a déjà entrainé une diminution significative de la prostitution de rue. Selon le rapport, qui souligne que la prostitution ne peut être entièrement clandestine puisqu’elle doit être accessible et publicisée pour les « clients », rien n’indique que la prostitution de rue se soit repliée sur les lieux cachés, salons de massage, sex clubs, hôtels, etc…

Traite des êtres humains : les trafiquants ne font pas recette en Suède

Autre volet dont le rapport se félicite, le recul de la traite des femmes. La présence du crime organisé pour l’exploitation sexuelle est considérée comme significativement plus réduite en Suède que dans les pays comparables. Selon la police, la loi fait fonction de barrière contre les trafiquants et les proxénètes, constatation qui signe le succès d’une disposition qui visait entre autres à prévenir la traite des femmes. Le nombre de femmes étrangères en situation de prostitution a beaucoup augmenté dans l’ensemble des pays nordiques, mais les proportions du phénomène n’ont en Suède rien de commun avec celles des pays voisins.

Des perspectives encourageantes

Des études menées auprès des « clients » depuis la loi montrent qu’ils sont moins nombreux à déclarer l’avoir été ; il semblerait que moins d’hommes soient clients en Suède que dans les autres pays nordiques. L’interdiction aurait eu un effet dissuasif. Les conclusions avancées insistent sur le fait que la criminalisation des prostitueurs n’est qu’un volet parmi d’autres d’une politique d’ensemble. Le pays entend poursuivre son travail social en direction des personnes qu’elle encourage à sortir de la prostitution (avantages sociaux, thérapie, supports psycho-sociaux), mais aussi des clients prostitueurs en organisant des groupes destinés à les aider à changer de comportement. Son souci concerne aujourd’hui les nouvelles dimensions d’Internet qui rendent nécessaire un important travail de prévention en direction des jeunes. Côté propositions, le rapport met en avant plusieurs pistes : créer un centre national contre la prostitution et la traite pour coordonner et approfondir les connaissances, relever le montant des peines (de six mois de prison à un an) pour des formes aggravées du délit, le niveau actuel n’étant pas toujours proportionné à la gravité des faits, et étendre les possibilités de poursuite pour les faits commis à l’étranger. A l’heure où les Pays-Bas et l’Allemagne, qui ont dépénalisé le proxénétisme, font face à une explosion de la prostitution et de la traite, le « modèle suédois » n’est sans doute pas sans défauts. Mais il est aujourd’hui le seul chemin politiquement cohérent pour limiter et si possible voir diminuer la plus archaïque des violences faites aux femmes et l’un des principaux obstacles – réel et symbolique – à leur accès à l’égalité.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.