Les réseaux de proxénétisme qui exploitent des personnes trans

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Alors que des réseaux de prostitution qui exploitent des personnes trans existent à l’échelle locale et internationale, Anne Darbes en analyse les rouages et les différentes facettes, à partir de son expérience et d’informations qu’elle a collectées.

Une expérience dans le Sud de la France

réseaux personnes transJe connais le milieu de la prostitution trans pour avoir été moi-même victime il y a quelques années dans le Sud de la France. Les réseaux locaux sont plutôt de petite taille, mai structurés. Les personnes qui les composent évoluent parfois dans les milieux associatifs ayant pignon sur rue.

Les ingrédients à l’œuvre dans ces réseaux sont toujours les mêmes : Au départ, ils sont un leurre. Contre l’exclusion, ils deviennent un refuge, un clan, une identité commune.

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Ce genre de réseau peut frapper aussi bien la personne trans prostituée occasionnelle, que la personne en quête d’identité, de toit ou d’argent : une proie.

L’approche se fait sur le trottoir. C’est ce qui m’est arrivé. Une femme trans s’est avancée pour discuter avec moi. Très vite, elle propose des solutions à tous les problèmes : J’étais sans-abri ? Elle me propose de me prêter une chambre, dans laquelle je peux recevoir les « clients », en faisant juste attention aux voisins. J’avais faim ? Elle m’accompagne dans une brasserie. Elle règle le repas, me fait quelques courses, etc.

Elle me devient alors indispensable, se présente comme une sœur, une sauveuse. Elle insiste sur le fait qu’entre personnes trans, la solidarité est de mise, et qu’il ne faut pas trop compter sur le monde extérieur.

Une fois arrivée dans la chambre, elle me signale que d’ici quelques jours, il faudra payer un « petit » loyer à la semaine, mais qu’elle me laisse généreusement le temps de gagner un peu d’argent…Dans les 2, 3 jours après mon installation, elle m’a présentée à des « amies » : trois ou quatre autres prostituées trans, qui m’ont accueillie très chaleureusement.

Le piège se referme

Au bout de quelques jours, le groupe vous signale que sans votre bienfaitrice, vous seriez toujours une sans-abri. On vous fixe un montant de loyer à verser chaque semaine (environ 200 euros par semaine).

On vous demande aussi de payer quelques paquets de cigarettes aux autres membres du groupe, de faire les courses et le ménage. On ne vous lâche plus. Vous devenez celle qui paye pratiquement tout…qui nettoie l’appartement, qui promène les chiens…

Sur l’argent gagné dans la prostitution, soixante-dix pour cent environ est reversé obligatoirement « aux sœurs », selon l’expression consacrée.

Lorsque je tentais de refuser de payer, le ton devenait très vite agressif, menaçant. Et un jour j’ai même vu arriver sur mon lieu d’activité deux ou trois trans dans une voiture, inconnues jusque-là, armées de battes de base-ball.

Les personnes trans sur le trottoir dans le même environnement vivaient la même expérience que moi. La seule façon de s’en sortir, c’est la fuite. Changer de quartier, et se faire toute petite.

Ces réseaux sont nombreux, mais passent le plus souvent totalement inaperçus. En cas d’arrestation, la défense de ces « proxénètes casse-croûtes », est de dire qu’elles étaient là pour nous aider à reprendre pied.

Pour diminuer le nombre de ces petits réseaux français, il faudrait d’abord que notre société (famille, ami(e)s, collègues de travail etc)… soit plus compréhensive, tolérante et qu’il y ait moins de rejet. Car le rejet d’une personne trans la pousse inévitablement dans la précarité et ouvre la possibilité de tomber dans ce genre de piège.

Les réseaux internationaux

Forte de mon expérience, et ayant eu vent de l’existence de réseaux internationaux, notamment au Bois de Boulogne, j’ai fait des recherches sur le sujet. On retrouve souvent les mêmes mécanismes que ceux décrits ci-dessus, mais à plus grande échelle et mieux structurés.

Leur schéma d’action est toujours le même : d’abord, la déconstruction du raisonnement, pour convaincre que les autres ; famille, société, etc. sont hostiles et que seule la protection du clan est valable. Vient ensuite l’exploitation des personnes trans par la soumission, la barbarie.

Les réseaux revêtent plusieurs formes (Associatives, collectif). Ils sont le plus souvent liés à l’Amérique du Sud, essentiellement basés au Chili, au Brésil, Au Pérou, en Colombie et au Venezuela.

A Paris, en 2016, le réseau de prostitution « Ruby » est démantelé par la brigade de répression du proxénétisme. Ce réseau péruvien, sévissait depuis des mois au bois de Boulogne.

Le Parisien décrivait ainsi le fonctionnement de ce réseau :
« les femmes et les hommes trans tombés sous la coupe des proxénètes étaient obligés de rembourser les frais de voyage pour venir en France, soit entre 10 000 et 20 000 euros », précise une source proche de l’affair. Ruby, épaulé par plusieurs complices, proposait différents services, tels que la réservation d’un emplacement dans le Bois de Boulogne, le transport via des taxis clandestins, etc. ».

En 2017, la police espagnole démantèle un réseau de prostitution trans venu du Venezuela.  Quatorze personnes arrêtées et vingt-quatre victimes libérées, après avoir été exploitées d’une façon extrêmement violente.

« Le réseau « finançait les implants mammaires et tous les frais de voyage » de ces personnes mais une fois arrivées en Espagne, « leurs papiers leur étaient retirés et elles étaient forcées sous la contrainte à exercer la prostitution pour rembourser une dette de 15 000 € ».

Fin 2022 encore, un réseau de traite est démantelé dans la rue Villa Biron à Saint-Ouen. 

Ce que décrivent ces articles, Maud Marin, dans « Le saut de l’ange », le décrivait déjà très bien dans les années 1970. Depuis, les choses ont encore empiré.

Dans leurs pays d’origine souvent très réfractaires à la transidentité, les jeunes candidates à la vaginoplastie sont d’abord conditionnées par le réseau : venir se faire opérer en France ou en Europe, avec l’assurance d’être aidées et soutenues par des compatriotes sur place. On leur fait miroiter un avenir prometteur, en jouant sur les failles affectives ou familiales.

On leur avance le billet d’avion, en précisant qu’il faudra le rembourser. Un accord tacite se crée, première marche du reconditionnement psychologique. La victime est déjà placée dans une logique de dettes.

Une fois arrivées à destination, les proxénètes prennent les passeports et font miroiter un permis de séjour (qu’elles n’obtiendront quasiment jamais). La plupart d’entre elles resteront des sans-papières.

En général, comme l’expliquait déjà Maud Marin ce seront pour les victimes, des turn over et de l’abattage sexuel (« clients » sur internet et sur le trottoir). Dès lors, chaque victime devient un produit de consommation, devra être rentable, sous peine de « punitions ».

Elles sont ensuite prises en charge par un groupe ou une association trans issue de la même communauté, qui va immédiatement les loger dans des chambres, où réside déjà d’autres prostituées. Quand elles arrivent en France, tout est déjà très structuré : chambre seule ou à plusieurs, pour laquelle, elles devront payer un loyer faramineux.

Enfin, après quelques jours d’acclimatation, on leur attribue une place au Bois de Boulogne. Dès lors, elles dépendent uniquement du clan. Seule les décisions des plus anciennes ou des proxénètes font office de Loi : on ne parle pas à la police, on verse telle somme sur son activité (en général, presque la totalité des gains pour rembourser le billet d’avion et les divers frais d’hébergement, etc.). Le groupe vit en parfaite autarcie. En cas de conflits, cela se règle entre communautés. Parfois, cela fait des morts.

Loi de 2016 : enfin reconnues comme victimes

Les victimes dépendent uniquement du groupe ou d’une petite association. Il est difficile de faire la différence entre l’aide réelle aux prostituées trans et  « le proxénétisme associatif ». La frontière entre les deux est très fine. Pour démanteler ce genre de réseau, il faudrait absolument que les victimes puissent parler. Mais elles sont sous emprise.

La loi 2016 prend ici toute son utilité. En effet, elle est un outil très important dans le dispositif de lutte contre les réseaux de proxénétisme : la pénalisation du « client » touche cette industrie du sexe au portefeuille, et la suppression du délit de racolage passif, permet une visibilité et une écoute salvatrice des victimes prostituées (trans ou non), par les autorités. Fini la double peine, cette loi considère les prostituées comme des victimes et non plus comme des délinquantes.