Sexe, amour et handicap

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De vraies exigences, mais des réponses tronquées : après Les travailleurs du sexe (2010), le nouveau documentaire de Jean-Michel Carré, Sexe, amour et handicap, diffusé en deuxième partie de soirée sur la chaîne publique France 2, annule la dimension progressiste de son propos en la coulant dans des réponses prémâchées, oublieuses des déterminants sociaux. Cependant, bien qu’instrumentalisés, les témoignages des personnes handicapées à propos de leur sexualité demeurent riches et inspirants.

Sexe, amour et handicap fait entendre des paroles puissantes : quelques personnes diversement handicapées, décrivant des épisodes de leur vie affective et sexuelle, s’expriment sur ces sujets qui sont parmi les plus intimes et les mieux partagés : la rencontre de l’autre, la recherche du plaisir, la connaissance de son propre désir…

Parce que le handicap a fait obstacle à une construction comme allant de soi, impensée, de sa sexualité, chacun•e confie un récit subtil, dont les péripéties ne laissent insensibles ni la tête, ni les tripes des spectateurs.

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Sous l’œil d’une caméra qui ne cache ni ne souligne leur handicap, ils et elles parlent des amours, des rencontres et des obstacles sur leur route. L’un partage le souvenir d’une amoureuse qui se tient comme à la découverte d’un monde face à son corps bossu comme celui d’un vieillard. Une femme raconte son combat pour vivre une relation qui la comble avec un homme également handicapé. Tou•te•s ont affronté des oppositions considérables : leur sexualité a été dénigrée et entravée, par leurs proches ou les personnels soignants.

La sexualité des personnes en situation de handicap est fantasmée comme hors normes, monstrueuse, comme l’illustre ce souvenir d’adolescence : une fille qui s’interroge à haute et claire voix sur la taille du sexe d’un copain handicapé, élargissant son « anormalité » jusqu’au plus intime de son corps.

Cette vision dégradante est parfois lestée du poids de l’autorité médicale. On écoute, glacé jusqu’aux os, le récit des séparations brutales, des cœurs brisés et des relations sous chappe de plomb : fruits révoltants de la politique de contention des institutions spécialisées, où le refus de l’intimité des personnes et la séparation arbitraire des couples semblent monnaie courante.

Ces récits-là, dont la clairvoyance pique la réflexion, ne sont cependant qu’une moitié du documentaire. En alternance, Jean-Michel Carré placarde les discours de deux sexologues, Catherine Agthe et Shela Warembourg, membres de l’association suisse Sexualité et Handicaps Pluriels (SEHP), qui promeuvent leur formation d’assistants sexuels.

C’est alors un tout autre film. La mise en scène installe ces expertes dans leur légitimité savante : l’une est filmée devant sa bibliothèque, l’autre dans son cabinet de travail, titres universitaires à l’appui. Alors que l’on espère un travail d’investigation sur les logiques répressives dans les institutions spécialisées — un champ pourtant propice à la critique d’un cinéaste qui se place sous le patronage[[Selon la présentation de la société de Jean-Michel Carré, « Grain de sable », productrice du documentaire, sur son site internet.]] de Michel Foucault et des maoïstes libertaires — on obtient un discours de spécialistes, flottant dans l’air des idées : commentant la participation de personnes prostituées à la formation en accompagnement sexuel, Catherine Agthe se félicite que ces personnes se soient chargées de la pratique, elle-même se réservant la théorie.

Tandis que certains des témoignages des personnes handicapées révèlent l’invention et la créativité convoquées dans la réalisation de leur sexualité, Agthe et Warembourg exhument des vieilles lunes sexistes : ainsi la pénétration vaginale présentée comme une nécessité dans la sexualité féminine, ou la description du sexe féminin comme intérieur, donc apathique comparé à son ‘homologue » masculin.

Warembourg convoque la figure désormais incontournable des mères obligées à masturber leur garçon, sans s’interroger sur l’éventuelle projection des croyances de ces mères sur la sexualité de leur enfant… ni sourciller devant la part de construction sociale à l’œuvre : on se demande bien pourquoi seuls les désirs des garçons, et pas ceux des petites filles, semblent si manifestes!

Quelques accompagnant•e•s sexuel•le•s prennent aussi la parole; on regrette de n’en apprendre que peu sur leurs pratiques, leurs parcours professionnels, leur lien avec la formation maison de SEHP. Certains exercent de manière bénévole ; l’accent est mis sur un travail au service de l’apprentissage de l’autonomie des personnes.

Leurs réflexions pourraient poser des jalons, parmi d’autres, vers un accès facilité à l’affectivité, à une sexualité basée sur le respect et l’échange : cette rencontre avec autrui maintes fois souhaitée par les protagonistes handicapés de Sexe, amour et handicap.

Créativité, respect, échange… la dissonnance avec ce programme affiché est à son comble lorsque la forme de l’accompagnement sexuel promue par Sexe, amour et handicap est celle d’un « service sexuel » payant; lorsque les personnes prostituées y sont affublées des clichés utilisés depuis toujours pour justifier leur exploitation. Ainsi, elles sont animées du don de soi, ou bien elles sont insatiables : selon Catherine Agthe, l’accompagnement sexuel satisferait enfin ces femmes [qui] n’en ont pas assez d’une passe d’un quart d’heure, elles en veulent plus.

Rien ne viendra compléter ces considérations dignes du XIXème siècle, pour expliquer en quoi la sexualité déniée des personnes prostituées pourrait être exploitée au service de la sexualité déniée des personnes handicapées, et ce pour le profit mutuel des unes et des autres.

Dans le même ordre d’idée, le documentaire s’ouvre par cette accusation, jamais explicitée : la loi française, coercitive en matière de prostitution, oblige les personnes handicapées à se battre. On aurait cru pourtant que les personnes handicapées avaient d’autres préoccupations, la loi française ne les empêchant pas, ni quiconque d’ailleurs, d’acheter des actes sexuels…

Heureusement, les luttes se construisent aussi loin des sillons où certains voudraient les canaliser et les instrumentaliser. Les personnes en situation de handicap interrogées par Jean-Michel Carré portent des exigences autrement plus émancipatrices et audacieuses, et il faut savoir gré au réalisateur de les avoir relayées.