Outre les viols et autres violences sexuelles, les jeunes femmes en fugue ou en errance, courent un danger de prostitution. Ce risque demeure hélas trop méconnu, hormis des travailleurs sociaux, parce que ces jeunes victimes sont dans le déni, la banalisation. Rencontre avec Marie Cervetti, directrice de l’association « Une femme, un toit » (FIT), qui accueille et permet à ces jeunes femmes de se réinsérer et de sortir de la prostitution.
Quelle est la spécificité du Centre d’hébergement et de réinsertion sociale que vous dirigez ?
Les Universelles est le seul CHRS qui accueille des jeunes femmes de 18 à 25 ans, sans enfant et qui ont été victimes de violences sexistes et sexuelles. La majorité d’entre elles a subi des violences familiales telles que leur corps a été marqué à vie : torturées, ébouillantées, frappées à coups de fils électriques. Beaucoup de ces jeunes femmes ont subi également des violences sexuelles au sein de leur famille, du couple ou de la part de leur entourage.
Particulièrement isolées et ne bénéficiant pas des minima sociaux, ces jeunes femmes
sont donc totalement démunies financièrement. Beaucoup ont connu un parcours d’errance et, parfois, n’ont eu d’autre solution que la rue. D’où la nécessité de les protéger, de les mettre en sécurité, avant de favoriser leur insertion. Actuellement, le CHRS peut accueillir 60 jeunes femmes, soit une centaine de résidentes par an.
Est-ce que, parmi vos résidentes, certaines d’entre elles ont vécu la prostitution ?
Absolument ! Selon les derniers chiffres, sur 103 jeunes femmes hébergées durant l’année 2019, 30 % d’entre elles ont été en prostitution de survie. Il faut savoir que la moyenne d’âge de ces jeunes filles est de 20 ans et demi ! La situation la plus fréquemment rencontrée : des jeunes filles s’enfuient de chez elles, suite à de graves violences familiales et vont vers Paris ou sa région. Une fois dans la rue, il leur suffit de rester quelques minutes, sans bouger sur le trottoir, pour qu’un homme s’approche d’elles et leur propose un hébergement de quelques nuits contre des actes sexuels.
Il leur dit qu’il vaut mieux opter pour cette solution, plutôt que de courir le risque d’être violées par plusieurs hommes, si elles restent dehors. D’après ce que nous racontent ces jeunes femmes, les profils de ces hommes bien insérés dans la société sont très variés. À première vue, elles n’auraient pas pensé qu’ils seraient capables d’émettre ce genre de propositions. Certains hommes sont très organisés. Ainsi, l’une de nos résidentes a été accostée dans la rue par un monsieur d’un certain âge. Lorsqu’elle est arrivée chez lui, il y avait cinq ou six jeunes femmes dans la même situation qu’elle. L’homme avait des relations sexuelles avec ces jeunes femmes et faisait venir des copains pour qu’ils puissent profiter également de la situation.
Ces jeunes résidentes n’avaient jamais imaginé qu’elles auraient ainsi recours à une prostitution de survie. Lorsqu’on leur dit qu’elles ont été violées, elles le nient catégoriquement. Selon elles, il s’agit de relations sexuelles « consenties ».
Ce n’est pas trop difficile pour ces jeunes femmes de décrire ce qu’elles ont vécu, de nommer leur activité prostitutionnelle ?
On est un centre qui accueille des personnes victimes de violences : à l’arrivée, les jeunes femmes doivent remplir un questionnaire détaillé dans lequel on leur demande notamment si elles ont été victimes de violences (physiques, sexuelles…) ; or, la majorité d’entre elles ont subi des viols.
Comme elles ont pu, à travers ce questionnaire, décrire les violences sexuelles subies, il leur est alors plus facile de parler de la prostitution. Six mois après leur admission au sein du CHRS, on les interroge à nouveau ; il arrive que certaines résidentes qui n’avaient pas tout raconté au départ, se livrent à cette occasion.
Au centre, nous avons accueilli des jeunes femmes qui, au moment où elles étaient prises en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE), ont été recrutées par des réseaux qui les ont prostituées. Plus rarement, d’autres ont été mises sur le trottoir par leur conjoint qui avait besoin d’argent, soit parce qu’il n’avait pas vendu assez de shit ou qu’il voulait tout simple- ment s’offrir un objet de valeur.
Ces jeunes femmes connaissent-elles la loi ?
C’est notre mission de les informer sur leurs droits. On explique aux résidentes le déroulement de la procédure si elles décident de porter plainte. En général, elles refusent d’entamer les démarches. Comme pour toutes les autres formes de violences, ces jeunes femmes subissent des menaces de la part de leur agresseur ou sont sous une telle emprise qu’elles préfèrent juste s’enfuir, ne plus avoir affaire à ce type d’homme.
Celles qui dénoncent leur réseau, ce sont les jeunes Nigérianes sans papiers. Nous les accueillons au centre, surtout parce qu’elles ont été violées dans la rue. Nous avons affaire à deux, trois cas chaque année. En effet, nous accueillons en priorité dans notre centre des jeunes femmes qui sont en situation régulière.
Comment se déroule la prise en charge ?
Le cœur de notre métier, c’est l’insertion. En général, les jeunes femmes ont été orientées vers notre centre par les services sociaux, le SIAO (service intégré d’accueil ou d’orientation) ou des associations de défense des droits des femmes. Une fois hébergées chez nous, elles remplissent un contrat de séjour de six mois, renouvelable. Ces résidentes sont accompagnées dans leurs démarches par des éducatrices spécialisées dans les violences faites aux femmes. Leur mission, c’est de mettre à la disposition de ces jeunes femmes une boîte à outils qui leur permet de se familiariser avec toutes les démarches de droit commun : accès à l’emploi, au logement, à la santé…
S’investir dans une démarche d’insertion demande du temps. Avec l’aide de l’équipe, les jeunes femmes apprennent à mieux saisir la stratégie de l’agresseur, ses mécanismes, ainsi que les conséquences des violences subies sur leurs comportements et leur santé.
Pour pouvoir trouver un emploi ou une formation, les résidences suivent un atelier hebdomadaire (rédiger un CV, répondre à une offre d’emploi…). Lorsqu’elles sont prêtes à postuler, on les accompagne vers une mission locale. Nous avons signé une convention avec la ville de Paris qui informe la mission locale des emplois qu’elle propose. Ensuite, nos résidentes ont accès en priorité à ces offres.
Côté logement, certaines résidentes ont pu bénéficier d’un logement social, tandis que d’autres sont en résidence sociale où elles peuvent séjourner durant trois ans, en bénéficiant des allocations logement. Tant que les résidentes ont besoin de nous, qu’elles n’ont pas trouvé d’alternative, elles restent. En général, la durée du séjour oscille entre 15 et 18 mois.
Est-ce qu’elles parviennent à sortir de la prostitution ?
À partir du moment où elles peuvent satisfaire leurs besoins de base (manger, se laver…) et qu’elles sont dans une démarche d’insertion, elles arrêtent la prostitution dans 99 % des cas. Il peut arriver qu’une jeune résidente soit prostituée à nouveau. On sait que, comme pour les violences conjugales, c’est très difficile d’en sortir.
Une femme, un toit, en ligne : www.associationfit.org/
Tél : 01 44 54 87 90.