Papa, viens me chercher

Thierry et Nina Delcroix, Editions de l'Observatoire, 2020

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Nina, 16 ans, revient tout juste de l’enfer. Elle et son père écrivent chacun de leur côté, pour tenter de remonter le l d’une histoire dont le sens leur avait échappé à tous les deux.

Nina est une jeune lle issue d’un milieu assez aisé, qui est victime de harcèlement scolaire depuis l’école primaire. Une situation qui continue au collège, et dont elle ne veut plus parler à ses parents. Dans le même temps, elle étouffe dans cette famille, elle est enfermée dans le carcan patriarcal de la jeune lle docile, sage, douée à l’école. Une attitude qui est justement moquée par ses camarades de classe. Le décès d’un proche se rajoute à cela, mais Nina n’a personne à qui parler de son mal-être.

À 13 ans, elle n’en peut plus alors elle tente quelque chose pour reprendre la main, pour respirer. Elle sort sans prévenir, sèche des cours, vole de l’argent à ses frères, change de fréquentations. Les parents ne comprennent pas, ils resserrent le cadre. Ils la placent dans un collège privé, celui-ci la vire au bout de quelques semaines. Viennent de premières courtes fugues, où elle subira un viol. La mécanique prostitutionnelle est lancée, elle va à mille à l’heure et elle est implacable. Personne ne parvient à comprendre la détresse de Nina, ni ne réussit à entamer un vrai dialogue.

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Mais quand on est en fugue à 13 ans, on ne se pose que deux questions : qui peut m’héberger et avec quel argent survivre ? Il y a bien le trafic de drogue mais dealer ne se conjugue pas au féminin. « Je n’ai pas le choix, pas d’autres solutions» conclut-elle avant de poster ses premières annonces de prostitution sur un site. Son âge n’est un souci pour personne… Très vite, de mauvais conseils en mauvaises rencontres, des milieux organisés la remarquent. Et puis l’emprise d’un dealer et de sa cocaïne arrive. Les dealers ne sont jamais loin de la prostitution. Eux hébergent sans poser de questions. Et ils ont besoin de « gérer des filles » pour être à leur compte. Pour ne pas être seuls non plus.

Failles institutionnelles et complicités

Nina revient plusieurs fois de fugue chez ses parents, mais jamais le dialogue, le vrai, ne s’installe. La mé ance reste de mise. On sent aussi que la figure maternelle peine à exister, qu’elle n’a pas de place et n’a pas vraiment la parole. Les mêmes schémas se remettent en place invariablement. Et puis, Nina reconnait qu’elle n’arrive plus à «entendre» qui que ce soit. Les parents, disons plutôt le père, devraient se remettre en question mais ils n’y arrivent pas dans de pareilles circonstances. Ils demandent de l’aide, cependant.

La force du récit, c’est de mettre en exergue toutes les failles institutionnelles qui permettent un tel drame : des lois de protection de l’enfance obsolètes, différents services de police avec des périmètres restreints, qui ne peuvent pas communiquer facilement entre eux, des éducateurs·trices volontaires mais dépassé·es par le nombre de dossiers, certains autres d’une légèreté incroyable. Pour nir avec la protection judiciaire des mineur·es sans moyens pour protéger. Le décalage est net entre le temps des services sociaux, de la police, de la justice d’un côté, et celui du proxénétisme de mineures de l’autre.

Et puis, il y a toutes ces complicités. Des «amies» qui ne disent rien, voire encouragent. Les hôtels qui ne signalent pas, prennent l’argent sans rien dire. On apprend aussi avec stupéfaction que les parents de Nina ferment eux-mêmes les yeux sur la réalité du commerce « un peu louche » d’un de leurs clients de travail, dans un quartier de bordels en Belgique ! C’est le père lui-même qui l’avoue. Une révélation… qui ne peut que scandaliser.

Il faudra un concours de circonstances incroyable pour que les parents réussissent à montrer à Nina qu’ils ne la jugent pas et qu’ils l’aiment, pour renouer en n le dialogue. Elle aura vécu entretemps les pires violences, entre la France, la Belgique, et l’Espagne. Aussi, Nina sait bien que c’est aussi la société qui l’a mise en danger : «Si, à 13 ans, je savais faire avec des “clients”, c’est que je l’avais vu dans la pornographie ». Elle revient aussi sur le besoin de prévention : « dès la 6ème on a des questions et on n’a pas d’éducation à la sexualité. Même en 4ème, on ne nous parle pas de prostitution. On devrait. »