Procès de Mazan. Militante féministe, Blandine Deverlanges assiste « horrifiée » au procès de Mazan. Elle dit son dégoût, la nausée qu’elle éprouve: « Ce à quoi on assiste est d’une violence inouïe », dit-elle. Elle a initié de nombreuses actions de soutien à Gisèle Pélicot.
Au procès des violeurs de Mazan, que pensez-vous du comportement des accusés ?
Dans l’ensemble, ils disent regretter d’avoir croisé la route de Dominique Pélicot ; tout est sa faute à lui. La majorité sanglote ; pas par regret mais parce qu’ils se sont fait pincer. Ils se vivent comme des victimes ! C’est le monde à l’envers. Un seul a dit qu’il reconnaissait l’ensemble des faits et qu’il s’agissait bien de viols. Quant à Pélicot, il reconnaît les faits mais revendique de ne pas avoir agi seul.
La stratégie de défense des avocat·es des accusé de Mazan est souvent odieuse. Au-delà des attaques contre la victime, il y a l’insupportable question des « besoins » des violeurs. On les interroge sur leurs pratiques sexuelles, leurs relations extra-conjugales, leur éventuel fétichisme, et sur la fréquence des rapports dans le couple.
Implicitement, cela sous-entend que leurs « besoins » ne sont peut-être pas satisfaits par leurs épouses et que c’est la raison pour laquelle ils vont chercher à les assouvir ailleurs. On reste dans les vieux réflexes d’une justice patriarcale. On remarque aussi que leurs avocats parlent des accusés en disant « ces garçons ». Il s’agit quand même d’hommes dont certains ont 50 ou 60 ans ; le message sous-jacent étant qu’il s’agit de bêtises ou d’erreurs de jeunesse.
Leur haine des femmes, leur misogynie est manifeste. J’ai été menacée par un des accusés alors que je donnais des interviews à l’extérieur du tribunal : « je vais venir violer ta mère» m’a-t-il lancé, parce qu’il craignait d’avoir été filmé en même temps que moi et qu’il criait à l’atteinte à sa vie privée… Je n’ai pas pu me rendre au tribunal pendant plusieurs jours. Ces menaces, devant la police et les avocats, en disent long sur le sentiment de leur « bon droit ».
D’ailleurs, ces hommes ont constitué une petite confrérie au fil du procès. Dans la salle, ils échangent des regards, ils se « checkent » le matin, ils s’encouragent, ils rigolent. Ils ont sûrement ouvert une liste Whatsapp. Ils portent des masques, des écharpes et des casquettes ; mais ce n’est pas parce qu’ils ont honte ; c’est pour échapper aux photographes.
Que sait-on de leur recours à la prostitution ?
La prostitution n’est jamais abordée de manière frontale. On leur pose rarement la question. Mais leurs épouses en parlent. Et un des accusés a lancé : « quel routier n’est jamais allé aux putes ? » Au moins la moitié d’entre eux sont « clients ». Le point commun de ces hommes avec les prostitueurs, c’est qu’ils venaient dans le but de franchir des limites et de violer une femme endormie.
Le mot proxénétisme n’a pas été prononcé non plus jusqu’à présent. Même s’il tirait parti de la prostitution d’autrui, Pélicot ne se faisait pas payer. Il jouissait « seulement » du sentiment de pouvoir et du tournage de ses vidéos porno.
Ce qui est renversant avec ce procès de Mazan, c’est qu’à aucun moment il ne leur est rappelé que le recours à la prostitution tombe sous le coup de la loi. Comme si la loi de 2016 n’existait pas. Sur la question de l’administration de drogues ou de la possession de matériel pédopornographique, ce rappel est fait. Jamais sur la prostitution.
Il serait bon que l’on sache aussi que la soumission chimique existe dans la prostitution. J’ai accompagné une femme sortie d’un réseau de traite des êtres humains à qui le médecin des urgences a dit de « lever le pied sur l’alcool » : elle a éclaté en sanglots parce que ses proxénètes l’avaient contrainte à absorber beaucoup d’alcool pour la soumettre, dans le bordel où elle avait été enfermée. Inversement, il y a celles qui boivent ou se droguent pour se dissocier et supporter les agressions qu’elles subissent.
Les liens avec la culture pornographique sont-ils abordés dans le procès ?
Pélicot filmait les viols et faisait des montages, entre 30 secondes et 4 ou 5 minutes. Il leur donnait un titre venu tout droit des sites porno. Tous ces hommes sont consommateurs de porno. Leur fréquentation du forum « à son insu » du site coco en est d’ailleurs la preuve. Mais si le porno est le bruit de fond de ce procès, aucun lien sérieux n’est fait avec les actes jugés.
Votre soutien à Gisèle Pélicot aura-t-il pesé dans ce procès ?
Notre action fondamentale au procès de Mazan, c’est le soutien à la victime, aux femmes des accusés et à celles qui assistent au procès. Nous avons fait des collages, par exemple sur le porno ; collage sur lequel un groupe « queer » a écrit des horreurs pour prendre la défense de la prostitution et de la pornographie, qui seraient sans lien avec cette affaire…
Au début du procès, Gisèle était incroyablement fragile ; sur le point de s’effondrer à tout moment. Puis, au fil des jours, elle a relevé la tête. Nos banderoles l’ont beaucoup aidée, ainsi que nos applaudissements. Maintenant, elle nous cherche des yeux, dit un mot à chacune. Elle est suivie psychologiquemet, mais est-ce que cela sera suffisant ?
Le don qu’elle fait aux femmes est énorme. Mais elle dit qu’elle est un champ de ruines. Comment va-t-elle sortir de cette épreuve ?
Pensez-vous que le procès va permettre une prise de conscience ?
Beaucoup de gens, notamment d’hommes, espèrent qu’après le procès, tout ça va être refermé et qu’on n’en parlera plus. La prise de conscience a lieu plutôt du côté des femmes. Celles qui sont là ouvrent les yeux. Il semble que la soumission chimique soit plus fréquente qu’on ne croit…
Ensuite, il reste beaucoup de chemin à parcourir. Un exemple : un des accusés, un homme de 72 ans, qui arrondit sa retraite en tant que chauffeur de bus scolaire, menace de porter plainte pour harcèlement parce que ses collègues femmes se sont inquiétées sans résultat. Le refus de voir est toujours là. Nous craignons que les peines ne soient pas à la hauteur des faits jugés. Va-t-on un jour accéder, en tant que femme, au statut de personne humaine ?
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