A l’occasion de la sortie du documentaire « Comme si j’étais morte », nous publions une interview de deux des protagonistes, professionnel·les du secteur de l’enfance. Christine Blec, cheffe de service du foyer filmé et ancienne présidente du Mouvement du Nid, et Sébastien Schmitt ont répondu à nos questions.
A lire : notre présentation du documentaire
Ce documentaire, Comme si j’étais morte, marque selon vous un tournant dans la manière de donner à voir le sujet de la prostitution des mineur·es ?
Christine Blec : Ce qui est fantastique, c’est qu’il s’agit d’un très beau documentaire, et il a été abordé d’une manière extrêmement intelligente, il n’y a pas de clichés. L’équipe a fait preuve d’une grande finesse, une très grande compréhension des choses. Avec une intuition de départ, de se dire que la manière dont la prostitution est traitée habituellement dans les médias, ça ne va pas, et avec une volonté de comprendre et de pouvoir montrer autre chose.
Sébastien Schmitt : C’est la première fois que j’ai rencontré des gens qui ne faisaient pas partie de ce monde-là, et qui ont compris ce qu’on faisait, tout de suite. Ça a été une véritable rencontre, sinon ça n’aurait pas marché. On ne l’aurait pas fait sans être certains qu’ils allaient préserver l’intégrité des mômes, de leur histoire.
Est-ce que le film rend compte de votre travail auprès des jeunes victimes ?
Christine Blec : Avant de commencer, on a pris le temps d’échanger avec le réalisateur, pour être sûrs de son intention. Il y a eu trop de reportages à sensation pour se payer l’ASE ; Mais il faut arrêter de tirer sur les ambulances ! D’abord elles sont cabossées ces ambulances, elles sont bien vieilles, et quand il n’y en aura plus c’est là qu’on sera dans la merde.
Ce qui est primordial, c’est de mettre le focus sur le système, le fait qu’il y a des hommes qui achètent un usage sexuel, qui exploitent sexuellement des enfants, des adultes. Il faut dézoomer, cesser de mettre le focus sur la jeune ou le jeune victime.
Sébastien Schmitt : On ne peut plus entendre « si ces filles se prostituent, c’est parce qu’elles sont chez vous, dans ce foyer-là. »
Plus les gens ont connaissance des parcours des jeunes, plus les pièces du puzzle sont sur la table, mieux ils comprennent ce qu’il se passe. Donc on peut aller plus loin, avoir des échanges plus fins. Il y en a assez de mettrefaire la focale sur ces femmes, ces filles : il y a des types qui ne respectent pas la loi, quand est-ce qu’on en parle ?
Beaucoup de professionnel·les se sentent impuissant·es, sidéré·es devant l’énormité de la violence subie par ces jeunes filles en prostitution, leur déni…
Sébastien Schmitt : Souvent, les mômes ne nous le disent pas car elles ont honte, elles ont peur de nous décevoir, elles ont peur qu’on les laisse tomber. Charge à nous de ne pas oublier qu’il s’agit d’enfants, qu’on doit les protéger le mieux possible. L’enjeu c’est qu’elles aient des points d’appui, qu’elles puissent être avec un adulte qui ne les laissera pas tomber et qui ne leur fera pas du tort.
Faire avec elle l’hypothèse de la prostitution, lui laisse la possibilité de nommer ou non, ce qu’elle vit. Quoi qu’il en soit, elle retiendra qu’ici c’’est possible d’en parler.
Christine Blec : Quand on se sent impuissant, c’est là qu’on a besoin d’être équipé, intellectuellement et émotionnellement, pour se rappeler qu’on est dans un du système. Je le répète aux collègues : C’est vous, la protection de l’enfance ! Ce n’est pas une entité abstraite. Il y a toujours un moyen de faire quelque chose, il faut trouver des chemins de traverse. On se fait « trouvailleur soucieux » (l’expression est de Joseph Rouzel), on continue d’accompagner avec toutes les imperfections … mais on fait en sorte d’agir sur tous les acteurs du système.
Aux côtés de la jeune, l’enjeu ce n’est pas de lui demander de nommer la prostitution, “d’avouer” ! Ce qui est important c’est d’être soi-même au clair sur les conséquences de ce qu’elle vit ; et de glisser des éléments qui puissent lui permettre de repérer la stratégie de l’agresseur.
Quand elle identifie ce qu’elle vit, elle peut cheminer en connaissant ce que dit la loi, et comprendre pleinement qu’elle ne risque rien si un jour elle a besoin de s’en saisir.
Qu’avez-vous envie de dire au grand public par cette fenêtre médiatique qui s’ouvre à l’occasion de la diffusion de Comme si j’étais morte ?
Sébastien Schmitt : J’aurais envie de demander, qu’est-ce que vous, vous comprenez de ce qui arrive à es jeunes filles ? Moi je sais ce qui se passe en termes de processus, de trauma, etc, mais vous qu’est-ce que vous en comprenez ? Si on ne parle que de téléphone portable et de réseaux sociaux, on est seulement dans les clichés, alors que la question est : “comment à votre avis une jeune fille arrive-t-elle à la prostitution” ?
On pourrait parler d’un parcours marqué par de nombreux traumatismes non pris en compte, qui abiment l’image de soi, qui abiment le rapport au monde au général. Quand on pense qu’on ne vaut pas grand-chose, le premier venu qui passe, on a envie de le croire.
Christine Blec : J’ai beaucoup aimé le discours de Judith Godrèche aux Césars : eje parle, je parle et je ne vous entends pas. Qu’est-ce que vous faites ? »
L’objectif avec ce documentaire, c’est de mettre le focus sur le regard que la société porte sur ces jeunes, et aussi sur les gens qui les exploitent. Et après, de questionner comment vous, (les spectateurs.trices) vous bougez là-dessus? Car ces enfants, ce sont nos enfants !
Comme si j’étais morte, à voir sur France TV Slash