Clandestinité, vous avez dit clandestinité?

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L’argument tourne en boucle : une loi qui pénaliserait les « clients » rendrait les personnes prostituées plus vulnérables en les exposant à des risques accrus de violences et de problèmes de santé du fait de la clandestinité à laquelle elles seraient contraintes.

On peut d’abord s’étonner du fait que cet argument de la clandestinité soit à usage élastique. On ne se souvient pas qu’il ait été brandi en 2002 lorsqu’a été votée la pénalisation du « client » de prostituéEs mineurEs. Le risque n’existait-il pas ? De même, la montée bien réelle de la clandestinité due à internet et au téléphone portable ne semble guère soulever les mêmes inquiétudes.

Ces mises en garde répétées sur les risques de la clandestinité ne sont-elles pas d’abord la preuve de la dangerosité de la prostitution ? du risque structurel de la passe ? Pourquoi leurs auteurs, si attachés à la sécurité des personnes prostituées, ne mettent-ils pas la même énergie à dénoncer l’inégalité du rapport de force qui les place, seules face au « client », en situation de danger, ainsi que les insultes, les agressions, les viols dont lesdits clients se rendent coupables tous les jours ?

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Aucune enquête ne permet à l’évidence de trancher la question de risques accrus. Mais on sait que, dans les pays qui ont libéralisé le commerce du sexe et sont donc les plus favorables aux « clients » (Pays-Bas, Allemagne), l’explosion du secteur illégal accroît la traque policière. La clandestinité y est plus prospère que jamais. Et la passe sans préservatif y est normalisée comme produit d’appel dans un marché devenu hyper compétitif.

Enfin, pourquoi oublie-t-on de dire l’essentiel ? À savoir que le projet abolitionniste, axé sur l’accompagnement social des personnes prostituées, entend orienter la loi vers leur décriminalisation totale. En inversant la charge pénale, qui pèserait désormais sur les « clients », elles pourraient mieux contrer des exigences telles que passes sans préservatifs, humiliations, pratiques non consenties, et plus facilement porter plainte. Ne serait-ce pas un pas décisif pour préserver leur sécurité ?

Mais les détracteurs de la future loi préfèrent mettre leur énergie à voler au secours des « clients » en gardant un parfait mutisme sur ses autres volets : meilleur accompagnement des personnes prostituées (emploi, logement, santé), alternatives à la prostitution, lutte renforcée contre les réseaux et le proxénétisme, travail d’éducation et de prévention… Tous ces « détails » compteraient-ils pour rien ?

On peut se demander jusqu’où l’argument des opposantEs n’est pas d’abord l’expression d’un vieil inconscient collectif. Message subliminal, il est urgent de ne rien faire si « faire » aboutit à mettre en cause le client prostitueur, subitement condamné à entrer dans la clandestinité justement, lui qui trouvait si confortable d’être légitimé dans sa démarche par la société tout entière.

Le risque majeur pour les personnes prostituées, ce n’est pas la pénalisation des « clients ». C’est la prostitution elle-même, d’une dangerosité sans pareil. C’est l’usage de drogues, qui y est souvent lié. C’est la violence. C’est la criminalisation qui pèse sur elles depuis des siècles.

La loi abolitionniste que nous attendons au Mouvement du Nid ne serait sans doute pas sans défauts. Mais, en touchant au « client », elle toucherait pour la première fois au noyau du système. Et, en se souciant enfin des personnes prostituées, de leur trajectoire et de leur désir d’en sortir, elle constituerait une avancée sans précédent.