À Grenoble, l’éducation et l’information plutôt que l’interdiction.
Élisa Martin s’est investie dans la campagne menée par la ville à destination des « clients » des personnes prostituées. Double originalité, cette campagne abolitionniste a été conçue avec les habitants eux-mêmes ; et elle s’affiche dans la seule ville de France gérée par un maire Europe Écologie Les Verts (EELV), un parti qui ne s’est pas spécialement illustré par son soutien à la loi du 13 avril…
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Comment est née l’idée de lancer cette campagne à Grenoble ?
Comme beaucoup de villes, nous nous sommes trouvés confrontés à des problèmes de prostitution. Mais nous ne voulions pas prendre d’arrêtés d’interdiction. Que ce soit pour la prostitution ou pour la mendicité, on ne gère pas la misère par des réponses de police.
Pour répondre à la colère des riverains, nous avons d’abord opéré des contrôles routiers à proximité des lieux de prostitution. Il s’agissait de faire voir du bleu aux automobilistes, de leur demander leur permis ou leur carte grise. Cette méthode n’a pas résolu grand-chose et la prostitution s’est déplacée.
Nous avons alors décidé de discuter avec les habitants. Lors de notre première réunion avec une association de quartier, les gens ont gueulé, c’est le mot, et gueulé après les filles
. Y compris les femmes ! J’ai été étonnée de voir à quel point ils étaient porteurs de préjugés. Ce n’est pas simple de désamorcer de telles idées pour des élu.e.s. Nous avons donc fait appel aux associations d’accueil des personnes prostituées avec qui nous avons travaillé main dans la main.
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Quel a été l’apport des associations ?
Nous avons pris contact avec l’Amicale du Nid et l’Appart, mais aussi avec Zéromacho, l’association qui regroupe des hommes. Nous avons découvert un milieu militant formidable ; des gens très mobilisés, d’une grande finesse et qui connaissent leur sujet.
Eux peuvent parler aux riverains, ils sont dégagés des enjeux de type électoral.
Ils nous ont apporté leurs connaissances sur les lieux de prostitution (le diagnostic qu’a établi l’Amicale est excellent) et ils ont été essentiels pour instaurer le dialogue avec les riverains.Notre seconde réunion, avec leur participation, est celle qui a fait bouger les choses. Les femmes ont d’ailleurs été les premières à percuter, après les avoir entendus parler des réalités concrètes vécues par les prostituées, par exemple les jeunes femmes africaines cassées et mises au trottoir. C’était manifestement un choc réel.
J’ai d’ailleurs constaté que le public évolue vite. Quand on parle des préservatifs qui traînent, qu’on lui demande qui les a utilisés, la prise de conscience sur la responsabilité des clients vient toute seule.
Quand on explique aux gens – ce qu’ont fait excellemment les associations –, ça marche.
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Comment s’est construite la campagne ?
À la fin de la réunion, nous étions déjà en mesure de proposer une campagne en direction des clients. Nous avons proposé des visuels, des slogans, du style pas client, pas complice
(Zéromacho nous avait donné des exemples de campagnes menées dans les pays du Nord) et invité les personnes présentes à choisir.
Il faut leur faire entendre et comprendre, les mettre en position d’agir ; que les gens s’approprient la problématique. Dans notre travail avec les unions de quartier, il est intéressant de voir que l’une de celles avec qui le dialogue a donné de très bons résultats était de droite. Nous avons pu dépasser les clivages politiques. Que l’on soit de gauche ou de droite, cette question touche à notre perception de l’humanité.
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Quel accueil a-t-elle reçu, par exemple à l’intérieur de la municipalité ?
Il m’est arrivé de virer certains hommes de mes réunions. Je crois avoir une bonne capacité d’écoute mais entendre de vieux mecs m’expliquer que si les prostituées font ça, c’est sùrement qu’elles y trouvent un peu de plaisir, non ! Mais globalement, les élus qui m’entourent sont favorables à cette campagne ; dans mon réseau, évidemment, puisque j’appartiens au Front de Gauche.
À France Urbaine, émanation de l’Association des Maires de France, il y a de tout, y compris des positions réactionnaires. En général, il y a beaucoup de démagogie sur ce sujet chez les élu.e.s.
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Le maire de Grenoble est EELV, il va donc à contre courant de son parti ?
Éric Piole est abolitionniste. C’est le cas de beaucoup d’élu.e.s écolos… Et il est très indépendant par rapport à EELV. Il juge cette action juste, c’est tout. Ce choix ne lui a posé aucun problème.
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Votre campagne « clients » a-t-elle été une conséquence du vote de la loi ?
Non, nous l’avions décidée avant ! Du coup, la loi nous a apporté un point d’appui supplémentaire. C’est la preuve que notre point de vue n’est pas complètement délirant. Il s’agit pour nous d’une loi progressiste. On ne peut pas accepter de laisser esclavagiser toutes ces personnes sans réagir. C’est un principe non discutable.
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Quelle réceptivité sentez-vous à la question de la prostitution en général ?
Il y a beaucoup à faire… J’ai découvert par exemple l’étendue du problème des bars à hôtesses. En tournant la nuit avec la police, j’ai pu entrer dans trois d’entre
eux. Ce sont clairement des bordels ; les canapés rouges, l’éclairage, les pièces à
l’étage… Mais avec la sonnerie et les contrôles à l’entrée, tout le monde a le temps de se rhabiller. J’y ai vu de jeunes étrangères mais aussi des Françaises ; ces femmes sont en danger. La police ne parvient à verbaliser que pour des questions annexes comme l’affichage des prix.
Quant à notre procureur, que je respecte par ailleurs, il n’a ni le temps ni l’envie de s’attaquer à ces sujets. Il est mobilisé par la question des stups. La prostitution n’est pas une priorité.
Quand on aborde cette question avec la police judiciaire, c’est la même chose. Pourtant, il y a même des mineures. Au début, les policiers niaient en soutenant qu’elles étaient majeures. Maintenant, ils reconnaissent que les jeunes filles présentent les papiers de leurs grandes sœurs.
Il n’y a pas non plus de mobilisation des services de l’Enfance. La question est complexe car tout est lié. Le Conseil Départemental a retiré les éducateurs de rue des quartiers qui ne sont pas prioritaires. Or, il y a de la prostitution dans les appartements, même si rien ne se voit sur la place publique…
_ La métropole va prendre la main, nous allons essayer de recoudre le tissu.
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Et maintenant, comment poursuivre les actions engagées ?
Nous allons travailler avec d’autres comités d’habitants, refaire des débats. Nous voudrions aussi pouvoir former les policiers municipaux, les brigades de nuit amenées à constater la prostitution.
Pour le moment, ce ne sont pas nos affiches sur les bars à hôtesses qui peuvent suffire à résoudre le problème. Il faut que nous fassions avancer la prise de conscience de l’ensemble des partenaires.
Actuellement, les Conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), sont un outil précieux. C’est un endroit privilégié pour parler des réalités de la prostitution sur la commune, des halls squattés, des jeunes filles en errance. Il y a une vraie liberté de parole et on y discute de faits remontés par les habitants ou par les établissements scolaires. On peut faire passer des consignes. Il y a urgence car les droits des femmes sont globalement en recul, ce qui influence les jeunes filles ; certaines ne savent plus ce que veut dire mon corps m’appartient
et ne mesurent pas le mal qu’on leur fait. Il se passe des choses sordides.
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Prévoyez vous un soutien aux associations pour renforcer leur actions ?
La question des moyens financiers est la plus douloureuse. Nous n’avons pas un sou. Il n’était pas possible depayer une boîte de communication pour réaliser la campagne. Les associations nous ont donné un coup de main à titre gratuit.
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On parle beaucoup de Grenoble pour vos initiatives concernant l’environnement. Quel lien faites-vous entre ces différentes questions ?
Nous avons à cœur de traiter ensemble la question sociale et la question écologique. Ce sont les deux piliers pour ouvrir un espace public apaisé qui permette à tous de bien vivre, de travailler, de respirer, de se reposer. Pour ce qui est de la prostitution, nous essayons de faire notre part, c’est-à -dire de lutter contre les préjugés. Notre philosophie n’est pas de faire la révolution, juste d’avancer, de tester les solutions qui marchent.
Cet article est paru dans le numéro 190 de notre revue,Prostitution et Société. Pour nous soutenir et nous permettre de continuer à paraître, abonnez-vous!