Florence Montreynaud : « des salons de massage ? Non, des bordels ayant pignon sur rue ! »

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Interview de Florence Montreynaud, historienne et féministe, fondatrice de Zéromacho

Depuis septembre 2021,  Zéromacho – Des hommes contre la prostitution et pour l’égalité – poursuit une action nationale contre les prétendus « salons de massages » asiatiques, en réalité des établissements de prostitution. Florence Montreynaud, leur très active marraine, en explique les raisons et les objectifs…

Florence Montreynaud, comment avez-vous découvert la véritable nature de ces établissements ?

Florence MontreynaudDans mon quartier de Paris 17e, je me suis étonnée de voir ces prétendus « salons de massages » asiatiques pousser comme des champignons, dont six dans la rue voisine. En réalité, tout le monde sait bien de quoi il s’agit : lumières clignotantes, clientèle furtive et masculine, esthétique qui n’a rien à voir avec celle des vrais salons de bien-être… Notre équipe a donc entrepris une enquête qui l’a amenée à poser publiquement la question : comment admettre l’existence de 300 bordels asiatiques à Paris, dans l’indifférence générale ?

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Comment accepter que des centaines d’esclaves sexuelles y soient enfermées ? Personne ne peut croire que c’est par choix et en toute liberté que ces femmes ont traversé la moitié de la terre. Il y a à Paris et dans d’autres villes des milliers d’hommes qui profitent de la misère de ces Chinoises pauvres, qui enrichissent les proxénètes et les trafiquants, et qui contribuent à la traite des êtres humains. Ces hommes commettent le délit d’achat d’actes sexuels puni par la loi du 13 avril 2016 ; une loi dont nous demandons l’application depuis près de 7 ans.

Comment avez-vous procédé pour mener cette enquête ?

 En 2021, nous avons parcouru les rues de Paris pour vérifier les informations sur les salons de massages trouvées, soit sur des flyers glissés sous les essuie-glace, soit sur Internet et notamment le site Vivastreet, connu pour ses annonces de prostitution. Sur les sites, accessibles à nous comme à la police, les images de jeunes femmes aux tenues et aux postures provocantes, ainsi que les commentaires des utilisateurs, ne laissent aucun doute sur les actes de prostitution. Au hasard de nos itinéraires, nous en avons découvert plusieurs dizaines d’autres ; au total nous en avons recensé plus de 300, dont 55 rien que dans le 17e arrondissement. On nous en a signalé des dizaines d’autres ailleurs en France.

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Vous avez pu procéder à des vérifications « in situ » ?

Oui. Un militant de Zéromacho demandait s’il pouvait avoir un massage « avec finitions » et la réponse était toujours « oui ». Quand une femme demandait à voir les tarifs, elle constatait souvent qu’il y avait deux listes, l’une passe-partout, l’autre réservée aux hommes, avec des massages « body-body, naturiste, réciproque »… Je suis entrée dans 200 de ces salons. Moi qui m’en faisais une image terrifiante, je n’ai rien vu qui puisse effrayer ; seulement des endroits minables et pas très propres. Comme je parle un peu chinois, j’ai pu avoir un petit échange avec quelques-unes de ces femmes. Je demandais si je pouvais revenir avec une autre personne.

Dans une cinquantaine de cas, on m’a répondu « non, parce que je suis seule » ; ce qui veut dire que ces femmes sont à la merci des agressions. Parfois, on prend des précautions : un jour, j’entre dans un « salon » où un écriteau clame « No sex ». On m’explique qu’il s’agit d’un vrai salon de massage. Trois mois plus tard, un Zéromacho y entre à son tour. Et la vérité est vite rétablie…

Que savez-vous des femmes prostituées dans ces salons de massage ?

Beaucoup parlent très mal le français alors qu’elles me disent être en France depuis des années. Elles ont entre 30 et 55 ans, et la majorité est âgée de plus de 35 ans.

D’après notre enquête, elles sont à 85 % originaires de Chine, beaucoup sont du Liao Ning. Et 14 % sont des Thaïlandaises. Leur arrivée par des réseaux de traite relève de l’évidence.

 On est tentée de vous demander… Que fait la police ?

La police manque de moyens et a d’autres priorités. Chaque année, elle fait fermer quelques salons, mais d’autres ouvrent ailleurs. Un commissaire nous a confié avoir beaucoup de mal à trouver les propriétaires. Aujourd’hui, les thèmes qui intéressent la police et la justice, et c’est très bien, sont la pédocriminalité et la prostitution des mineur·es. Les femmes enfermées dans ces établissements ne sont ni jeunes ni glamour et ne correspondent pas à l’image de la victime. Les « clients » ne sont vus que des voisins, et encore. Il n’y a pas de plaintes du voisinage. En gros, il n’y a pas de sujet. Tout est contre nous, donc allons-y !

Vous avez déjà engagé de multiples actions…

 En 2021, Zéromacho a adressé un signalement au procureur de la République de Paris (et dans quelques villes), en lui demandant de faire appliquer la loi. Nos courriers aux maires d’arrondissements de Paris ont reçu une dizaine de réponses. En 2022, le Conseil de Paris a voté un vœu demandant au préfet de police d’agir. Zéromacho a des contacts réguliers avec Hélène Bidard, adjointe à la maire de Paris chargée de l’égalité femmes-hommes. 

Nos responsables ont été reçus par la Brigade de répression du proxénétisme, l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains, les procureures de Paris chargées du dossier prostitution, des maires, une conseillère de Paris, un commissaire de police… Aujourd’hui, nous lançons une pétition nationale en partenariat avec la Fédération de massages bien-être. Nous poussons tous les pions possibles ; nous avons ainsi demandé un rendez-vous à l’Inspection du Travail. Car ces lieux pourraient tomber pour proxénétisme mais aussi pour manquement aux règles d’hygiène.

Que pourraient devenir les femmes ?

Nous ne leur voulons aucun mal, au contraire. Ce que nous voulons, c’est que ce système de violences s’arrête. Nous demandons pour elles, en application de la loi de 2016, un accompagnement associatif, un accès à des parcours de sortie de prostitution et à une régularisation. 

Quel est votre objectif à long terme ?

C’est le changement des mentalités. Il faut de la pédagogie : sur la traite, sur la responsabilité des « clients », sur la loi de 2016, ignorée de la majorité des gens  et même d’hommes qui achètent eux-mêmes des actes sexuels. Ce que nous voulons, c’est l’application de tous ses piliers : sensibiliser la population, venir en aide à ces femmes, punir les proxénètes et les clients-prostitueurs.

Une récente affaire de démantèlement de réseau asiatique a encore une fois montré que les « clients » ne sont pas inquiétés[1]. A la différence de la Suède, où on a expliqué pendant des décennies à l’école que l’on n’achetait pas le corps d’autrui avant de voter la loi de 1999, la France a fait l’inverse ; la loi a précédé les mœurs. Résultat, elle n’est pas appliquée. Et une loi non appliquée est pire que pas de loi du tout. Nous faisons un travail d’utilité publique. Il y faudra une génération.

D’autres actions, présentes et à venir ?

Dans la nuit du 13 avril, avec des militantes de lAmazone Paris, nous avons tagué un slogan en fluo devant les salons du 17e, « C’est combien ? 1 500 € d’amende ! » pour rappeler aux hommes demandeurs de « finitions » qu’ils commettent un acte illégal. Le 17 juin, veille de la fête des pères, Zéromacho organise une opération « massages dans la rue » avec des professionnel.les de la Fédération Française de Massage Bien-Être, qui s’est engagée à nos côtés dans la pétition et dont les masseuses authentiques sont quotidiennement importunées par des demandes prostitutionnelles. Si rien n’aboutit en 2023, nous lancerons d’autres actions. F

aire avancer la cause des femmes est ce qui justifie ma vie et mon écriture. En août 1970, apprenant la première action du MLF, je me suis levée de mon fauteuil et je ne me suis plus jamais rassise… 

 Pour en savoir plus et signer la pétition, sur le site de Zeromacho 

[1] Une enquête sur un « salon de massage » fermé en janvier 2023 à Achères (Yvelines) a montré que les « clients » ont été seulement auditionnés.

 

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.