Les bordels au temps du coronavirus

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Que faire des bordels au temps du coronavirus ? Voilà des établissements de prostitution devenus bien encombrants sous le règne du masque obligatoire et de la distanciation physique. Nos voisins réglementaristes, fiers de leurs usines à sexe et des « managers » qui les dirigent, clamant à l’envi que le « travail du sexe est un travail comme un autre », se sont manifestement fait des nœuds au cerveau pour allier précautions dues à la pandémie et maintien par tous les moyens de ces institutions d’exploitation sexuelle des femmes. En Suisse, on a tricoté une charte sanitaire surréaliste. En Allemagne, on est allés jusqu’à convoquer le père Ubu : certains bordels ont bien été rouverts, mais assortis de l’interdiction de tout rapport sexuel…

En attendant, la majorité des lieux de prostitution ont du pour la première fois mettre la clé sous la porte. Ce que rien ni personne n’avait jamais réussi à obtenir, ni les guerres (surtout pas les guerres), ni les famines, ni les révolutions, c’est un virus microscopique qui le réalise : la fermeture des maisons jamais closes. Or, un premier constat s’impose. Le monde ne s’est pas écroulé. La plupart des « pulsions irrépressibles » ont pu être réprimées. La  preuve par a+b que le mal n’est peut-être pas si nécessaire.

Une étape supplémentaire dans le mouvement #metoo ?

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Mais alors, pourquoi ne reconnaître l’évidence ? Le covid pourrait à cet égard marquer, à son corps défendant, une étape supplémentaire dans le sillage du mouvement #metoo. Jusqu’à présent, les violences et le harcèlement avaient été dénoncés dans l’espace privé comme dans l’espace public, l’espace prostitutionnel semblant mystérieusement n’appartenir ni à l’un ni à l’autre. Il était convenu que dans ces lieux hors champ, un billet avait le pouvoir magique de les neutraliser. Insultes, humiliations, tentatives d’étranglement restaient tacitement acceptés au nom des « risques du métier ».

Aujourd’hui, partout en Europe, les abolitionnistes tentent de faire de ce moratoire inattendu sur les bordels l’occasion d’une réflexion de fond. Pourquoi ne pas poursuivre dans la voie de cette quasi abolition de facto de la prostitution ? Pas seulement pour des raisons sanitaires circonstancielles, mais en raison d’enjeux majeurs pour les droits des femmes. « Il ne faut pas seulement freiner le virus du Covid-19, mais aussi celui du machisme », a déclaré à ce propos le chef du gouvernement espagnol Pedro Sanchez. Non sans ajouter : « La meilleure formule est l’abolition de la prostitution, mais avec des alternatives pour les femmes exploitées ».

Rêvons donc d’un « monde d’après » capable d’en finir avec le parcage des femmes pour  l’usage sexuel des hommes ; avec la résignation séculaire voulant que le bordel soit une « solution » pour les plus précaires, les plus abandonnées d’entre toutes. La France a fait en la matière un pas de géant avec la loi de 2016. Restent nos voisins réglementaristes… A voir avec quel entrain les autorités, en Europe et ailleurs, prennent des mesures draconiennes pour le virus, l’évidence est là : ils sont tout à fait en capacité d’imposer quelques contraintes pour en finir avec l’éternelle exploitation sexuelle des femmes.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.