L’abolitionnisme, un chemin d’humanisation de la société.
La Grande Loge Féminine de France (GLFF), la plus importante association féminine maçonnique au monde, ne pouvait ignorer la question de la prostitution… Elle a ainsi fait part, en octobre 2015, de son choix abolitionniste. Loin des fantasmes obscurs sur « la franc-maçonnerie », le travail des loges est l’affirmation d’un combat authentique pour les droits et la dignité des femmes. Marie-Thérèse Besson, grande maîtresse de la GLFF, et la présidente de sa Commission Nationale des Droits des Femmes, nous décrivent leurs convictions et le choix de l’abolition.
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Qu’est-ce qu’une loge de la GLFF, qu’y fait-on et qui sont les femmes qui la composent ?
La GLFF regroupe des femmes de tous milieux, de toutes cultures, de toutes religions désireuses de travailler ensemble dans un objectif d’accomplissement personnel mais aussi de progrès social. Ce sont souvent des femmes impliquées, engagées à titre individuel dans des associations, et qui cheminent et progressent ensemble. Chacune y vient pour faire un travail sur soi, se construire, trouver du sens. C’est un lieu de liberté de parole, où elle peut forger une meilleure affirmation de soi et faire l’apprentissage des responsabilités. Elle confronte ses idées et approfondit sa réflexion à l’intérieur de la loge afin de porter à l’extérieur ses idées et ses valeurs.
Une loge est d’abord un lieu de réflexion philosophique et de recherche spirituelle. C’est à partir d’un travail symbolique que chacune peut ensuite s’impliquer dans des commissions touchant à des problèmes de société. Car la GLFF a toujours été engagée et mobilisée dans de multiples débats citoyens portant notamment – mais pas seulement – sur les droits des femmes : lois sur la contraception et l’IVG, parité, laïcité, bioéthique… Notre dernier colloque de 2014 portait sur les 40 ans de la loi Veil, que bien des Sœurs ont contribué à élaborer. Les franc-maçonnes ont été des pionnières sur les questions de contraception[[Des hommes franc-maçons ont également beaucoup œuvré en faveur du droit à la contraception, par exemple Lucien Neuwirth à qui les Françaises doivent la loi de 1967 autorisant la pilule contraceptive, et Pierre Simon, cofondateur du Planning Familial.]], de légalisation de l’IVG et de reconnaissance des droits sociaux des femmes.
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Pourquoi tant de secrets autour des loges maçonniques ?
Nous ne sommes pas dans le secret mais dans la discrétion. Pas d’étalage, pas de recherche de pouvoir. Nous ne connaissons pas toujours le métier de nos Sœurs… La loge est une école de modestie. Nous sommes à son service. Dans la confrontation d’idées, la règle est le respect et l’écoute. Pour nous, les affaires de certaines loges masculines, avec leurs réseaux d’influence, sont contraires aux valeurs de la franc-maçonnerie.
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La franc-maçonnerie est historiquement un univers masculin. Comment les femmes ont-elles fini par y conquérir une place ?
Dès le 18ème siècle, il existait des loges d’adoption sous tutelle des loges masculines. Peu à peu, les femmes ont souhaité gagner leur indépendance. Il y a 70 ans, en 1945, a été créée l’Union Maçonnique Féminine de France, strictement composée de femmes, et devenue en 1952 la GLFF. La maçonnerie vivait ainsi une évolution parallèle à celle de l’ensemble de la société. Pour nous, il ne s’agit pas de montrer une hostilité aux hommes – nous affirmons dans les loges être un des pôles de l’humanité et ne pas oublier l’autre[[À la question de savoir si les loges masculines ont le même souci d’affirmer l’existence de « l’autre pôle de l’humanité », la réponse a été : il faudra le leur demander…]] – mais d’affirmer notre souci de nous construire entre femmes. C’est un lieu où les femmes s’affirment, prennent de l’étoffe et abordent bien entendu des sujets qui n’ont pas beaucoup intéressé les loges masculines. Le Grand Orient[[Face à une question houleuse, le Grand Orient de France, exclusivement masculin jusqu’en 2010, a choisi à cette date de laisser chaque loge décider d’accueillir ou non des femmes.]] n’a jamais travaillé sur la prostitution…
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Vous disposez d’une commission des droits des femmes ; quel est son rôle ?
Nos sociétés restant profondément andro-centrées, la Commission travaille à faire que les femmes occupent une juste place dans une république paritaire et laïque. Elle se mobilise au plan régional et national contre les violences faites aux femmes, contre les discriminations économiques (précarité des emplois, inégalités salariales) et promeut une éducation à l’égalité dès le plus jeune âge. Elle a un rôle de veille et d’alerte ainsi qu’un rôle d’expert et de conseil. En 2013, nous avons par exemple élaboré un rapport alternatif dans le cadre de la CEDAW, la Convention de l’ONU de 1979 luttant contre les inégalités et les discriminations faites aux femmes. Nous proposions entre autres de faire voter une loi anti-sexiste sur le modèle de la loi anti-raciste mais aussi une loi ambitieuse ayant pour but d’abolir la prostitution, de donner aux personnes prostituées des alternatives et de prévoir une éducation à la sexualité dès la maternelle.
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Quand la question de la prostitution a-t-elle surgi dans vos loges ?
Nous sommes un laboratoire d’idées et nous nous sommes donc vraiment emparées du sujet en 2013 quand le débat est apparu dans la société. Nous y avons consacré deux ans de travaux. Comme pour tout sujet, une volontaire a préparé dans chaque loge un dossier qui a servi de base de discus- sion. Au niveau national, nous avons procédé à des auditions : Lise Tamm, procureure au Parquet de Stockholm, qui nous a expliqué en quoi la pénalisation des clients était une aide pour remonter les réseaux de proxénétisme, Rosen Hicher, Survivante de la prostitution qui a parcouru à pied 800 km pour demander le vote de la loi visant à lutter contre le système prostitutionnel… Nous avons abordé la question sous l’angle de la violence et la position abolitionniste s’est imposée rapidement. La pénalisation du client, tellement débattue dans la société, a été pour nous l’objet d’un quasi consensus de la part de l’ensemble des régions. Notre communiqué d’octobre 2015, qui af rme notre soutien à la proposition de loi abolitionniste sur la lutte contre le système prostitutionnel, en la présentant comme le moyen d’aboutir à « une véritable humanisation de la société », est ainsi le résultat d’une pensée commune.
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Comment portez-vous vos idées à l’extérieur des loges ?
De multiples façons : dans notre environnement personnel et professionnel mais aussi lors d’événements publics, conférences, publications, colloques… Nous sommes régulièrement auditionnées par les instances parlementaires, Sénat et Assemblée nationale. Ce fut le cas, par exemple, sur les questions de la fin de vie, de la bioéthique, du mariage pour les personnes de même sexe… Nous publions des communiqués de presse que nous envoyons aux personnalités politiques concernées. Par ailleurs, nous avons créé un Institut Maçonnique Européen qui nous permet d’être représentées auprès des instances européennes. L’IME répond régulièrement aux « alertes » lancées par le Parlement Européen et travaille sur des dossiers de fond ; par exemple les femmes et la pauvreté, la jeunesse, la solidarité, etc.
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Sur quel dossier travaille actuellement la GLFF ?
Nous avons ouvert le dossier de la GPA, Gestation pour Autrui, et de la PMA, Procréation Médicalement Assistée. Sur la GPA notamment, les avis sont très partagés. Le sujet est plus polémique que n’a été celui de la prostitution… Il est trop tôt pour se prononcer sur l’issue des débats.
La Grande Loge féminine de France
La GLFF est une association loi 1901. Société initiatique (et non secte !), exclusivement féminine et totalement laïque, la GLFF refuse tout dogme et professe l’absolue liberté de conscience. Parmi les franc-maçonnes qui ont émaillé son histoire, citons Louise Michel, Maria Deraismes, Flora Tristan, Madeleine Pelletier, Joséphine Baker… Il nous est plus difficile de citer celles d’aujourd’hui, certaines sont également très connues. Chacune est libre de faire état elle-même de sa qualité de franc-maçonne mais nulle n’est en droit de le faire à sa place.
La GLFF compte aujourd’hui 14 000 membres, appelées des Sœurs, réparties dans 433 loges actives en France et à l’international (Europe, Afrique, Pacifique, pays de l’Est…). Sa présidente est élue par l’ensemble des loges, pour un an, renouvelable deux fois seulement. Elle dispose de plusieurs commissions, parmi lesquelles la Commission Nationale des droits des femmes et la commission de la laïcité.
La GLFF va organiser en avril 2016, au Palais Brongniart à Paris, en collaboration avec une obédience masculine, un grand colloque sur – et avec – la jeunesse.
Cet article est paru dans le numéro 187 de notre revue,Prostitution et Société. Pour nous soutenir et nous permettre de continuer à paraître, abonnez-vous!