Maud Olivier : « La loi du 13 avril 2016 demande des signaux politiques forts »

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Interview avec Maud Olivier, ex-députée et rapporteure de la loi du 13 avril

Maud Olivier, députée PS de l’Essonne lors de la précédente législature, a rédigé la loi visant à  renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, dite «du 13 avril 2016» qui repose sur 4 piliers[[Le renforcement de la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains avec notamment des mesures fortes de protection des victimes qui participent à  démanteler les réseaux, la fin de la répression des victimes de la prostitution, la mise en place d’un accès à  des parcours de sortie de la prostitution, la protection et le soutien à  toutes les victimes, y compris étrangères, la prévention des pratiques prostitutionnelles et l’éducation à  la sexualité comprenant la question de la marchandisation des corps et enfin, la nécessité de faire reculer la prostitution en interdisant tout achat d’un acte sexuel et en responsabilisant les « clients ».]].

Alors que les parcours de sortie instaurés par la loi sont en train de se mettre en place, nous avons demandé à  Maud Olivier de nous rappeler quelques fondamentaux de la loi, et de réagir aux premiers échos que nous avons de son application.

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Quel est l’esprit qui a présidé à  l’élaboration de la loi du 13 avril 2016 ?

Pour moi, cette loi était un aboutissement dans la lutte contre les violences faites aux femmes. La prostitution était la dernière violence, qui n’était pas punie par la loi, qu’on pouvait commettre sur des femmes. Tant qu’acheter une femme était autorisé, cela légitimait l’ensemble des violences faites aux femmes.

Concrètement nous nous sommes inspirées de la loi suédoise, la première à  avoir inversé la charge pénale et pénalisé le client plutôt que les personnes victimes. Mais nous avons constaté qu’il manquait tout un volet accompagnement que nous avons tenu à  inscrire dans cette loi. Nous ne voulions pas nous contenter de dire « ces personnes sont des victimes » et ensuite, les laisser se débrouiller, souvent sans papiers et sous la coupe des proxénètes et des réseaux.

Il s’agit donc d’accompagner de façon globale, par le droit, par l’inversion de la charge pénale, par la prévention, la formation, et par l’accompagnement. C’est un processus complet.
Il y avait enfin un volet important qui malheureusement n’a pas été suffisamment mis en œuvre : la mise en place d’une communication gouvernementale pour faire connaître la loi. Il y a encore de trop nombreux clients et de concitoyennes et concitoyens qui ne savent pas encore que l’achat d’acte sexuel est interdit.

Quel était l’objectif de la mise en place des commissions départementales de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains et des parcours de sortie ?

C’était pragmatique. Les lieux de prostitution et l’implantation par les proxénètes des personnes en situation de prostitution sont répartis sur tout le territoire. Pour pouvoir mettre en place ces parcours de sortie, il fallait impliquer localement tous les acteurs qui sont engagés contre cette violence : préfet, justice, police, gendarmerie, éducation nationale, travailleurs sociaux, associations etc!Bien sùr, nous avons demandé que les personnes souhaitant sortir de la prostitution s’engagent à  ne pas y retourner pour pouvoir bénéficier d’un accompagnement solide et complet, en termes de formation, de logement, d’accompagnement financier, d’autorisation pour rester sur le territoire pour les personnes étrangères. La présence des forces de l’ordre dans les commissions départementales, permettait de garantir le respect par la personne de ne pas retourner dans la prostitution mais d’envoyer aussi un message aux réseaux : ils ne peuvent pas utiliser les parcours de sortie pour inciter de nouvelles victimes à  venir sur le territoire, en contrepartie d’autorisation à  y rester.
Enfin, je pense aussi qu’engager et faire travailler ensemble des institutions, des associations, des travailleurs sociaux, c’est un moyen d’impliquer toute la société sur cette nouvelle politique publique.

Avec la mise en place des commissions, on constate une tendance à  présélectionner les dossiers et une frilosité pour accepter les personnes en situation irrégulière ou dont la demande d’asile a été rejetée. Qu’en pensez-vous ?

Ce n’est pas du tout l’esprit de la loi. La seule chose qui devrait être demandée c’est que les personnes s’engagent à  ne pas continuer la prostitution et respectent leur engagement. Les parcours de sortie ont été mis en place pour les personnes étrangères aussi. Je rappelle que 90 % des personnes prostituées sur notre territoire sont étrangères, victimes des réseaux de traite des êtres humains. Le fait d’avoir eu une OQTF (Obligation de quitter le territoire français) par exemple ne doit pas être un obstacle puisque la loi du 13 avril donne le droit d’avoir des papiers.
La loi est là  pour mettre en sécurité les personnes, et a été faite pour dissuader en même temps les réseaux de continuer leur trafic sur notre territoire. Cela a été longuement réfléchi. C’est justement pour assurer cet équilibre que dans la commission, il y a le préfet, la justice et la police. Il n’y a pas de raisons qu’il y ait des critères supplémentaires imposés. C’est un détournement de la loi. Pour éviter ces mauvaises lectures, il faudrait un petit rappel de la loi à  qui de droit. Il se peut que certaines instances se fassent tirer l’oreille, mais si on leur rappelle avec détermination leurs obligations, elles appliqueront la loi. Aujourd’hui je crois que la loi a été suffisamment reprise et connue pour qu’on ne puisse passer outre. Mais pour qu’il n’y ait pas de dérives inadmissibles comme celles qui verraient choisir en amont des commissions et selon les profils, les personnes qui auraient droit aux parcours de sortie, il faut un signal fort du politique.

Dans la mise en place de cette politique globale et petite révolution des politiques publiques en matière de prostitution, pouvez-vous nous expliquer quelle est l’importance de la « construction interministérielle » ?

Tout ce qu’on a construit pour cette loi, nous l’avons construit avec l’ensemble des ministères concernés : le ministère de la Justice, de l’Intérieur, des droits des femmes, de l’action sociale et des familles, de la santé, de l’éducation nationale, du travail. C’était vraiment important que cette politique publique engage l’ensemble du gouvernement. Pour son efficacité, sa portée et sa mise en place, il faut absolument que cela continue. Chacun des ministères concernés a sa part de responsabilité dans sa mise en œuvre. Je ne sais pas ce que peut faire Marlene Schiappa, la secrétaire d’Etat aux droits des femmes, si elle est seule à  porter ce combat, même si elle le partage, nous le savons.
La lutte contre le système prostitutionnel, c’est une politique qui est au cœur des valeurs humanistes de notre République.

Est-ce que vous pensez que la loi a déjà  eu des effets ?

Je crois qu’il y a une prise de conscience que la prostitution est une violence. Avant on ne voulait pas entendre parler de cet aspect des choses, mais je crois que ça finit par faire son chemin dans l’esprit de tout le monde. C’est bien aussi qu’il y ait régulièrement des informations sur le nombre de clients verbalisés ! En multipliant le nombre d’interpellations, la police pourra contribuer à  faire comprendre que c’est interdit.

Je pense que pour la prostitution la plus visible, il y a un avant et un après : sur la voie publique, avec les interpellations policières, on sait plus ou moins maintenant que c’est interdit. Ce qui me trouble, ce sont les nouvelles formes de prostitution, cachée, par des jeunes : le « michetonnage »  « . Les jeunes gens qui le pratiquent n’ont pas conscience que c’est de la prostitution, car ces activités sexuelles sont complètement banalisées par la pornographie. On a là  un énorme travail à  faire par rapport aux jeunes et leur éducation à  la sexualité notamment des actions de prévention en direction des collégiens et lycéens.

Est-ce que le fait que l’Education nationale siège dans les Commissions départementales ne doit pas avoir ce rôle-là  ?

Si bien sùr, l’éducation nationale se doit de respecter la loi et on sait que l’éducation à  la sexualité devrait être mise en place partout. Mais malheureusement les constats de carence sont nombreux. Il faut alors un accompagnement local solide avec des interventions d’associations tournées vers la prévention et l’éducation des jeunes. Malheureusement le désengagement des collectivités territoriales dans leur financement est un coup de frein brutal qui pénalise tout le travail fait depuis des années.

Avec les baisses de subventions, on sent la difficulté à  faire s’investir l’Etat financièrement sur le sujet. Qu’en pensez-vous ?

Oui l’Etat tergiverse, aussi il est de la responsabilité des élu.es, à  l’échelle nationale ou locale, de s’emparer davantage de la question du financement indispensable des actions liées à  la prévention, la formation et l’accompagnement. Mais, j’ai plutôt l’impression que depuis les récentes élections, l’investissement des élu.es sur ces questions, qui rejoignent bien sùr les fondamentaux de l’égalité femme/homme, se dilue un peu!

C’est très important que l’Etat s’engage financièrement, non seulement auprès des associations, mais aussi de tous ceux qui, comme certaines missions locales, par exemple, mettent en place des actions fortes de soutien à  des jeunes en déshérence ou déjà  victimes de prostitution. On ne le dira jamais assez, ce qui peut faire la différence, c’est le portage au niveau national. Il faut que les ministères concernés fassent en sorte que la loi soit appliquée pour que les financements aillent de soi.

J’insiste, si les associations, qui font tout le travail de l’accompagnement, en amont des parcours, qui font de la prévention, de la formation, sont mises à  mal, c’est un très mauvais signal. Cette loi, c’est une déclinaison en cascade de mesures, symboliques, judiciaires, politiques, financières, qui demandent des choix politiques clairs pour tout le monde.