Prostitution chinoise : un chaînon manquant… le « client »

2594

Que les « clients » prostitueurs soient mus par l’indifférence est inscrit dans la nature même de leur comportement. Mais pourquoi le corps social tout entier continue-t-il de les protéger de tout son silence, de toute sa complicité ?

Des femmes chinoises, de plus en plus nombreuses, sur les trottoirs de Paris. C’est le constat fait par Médecins du Monde [[Enquête menée de septembre 2007 à janvier 2008 auprès de 93 femmes chinoises prostituées.]] dont le Lotus Bus parcourt chaque soir les rues de plusieurs arrondissements, du 12e au 19e et de Belleville à Strasbourg Saint-Denis.

Annonce

Leur situation ? En Chine, le chômage, l’absence d’avenir, le dépouillement par des réseaux d’exploiteurs (7000 à 15 000 euros versés pour venir en France), les familles, les enfants et le déchirement de la séparation. A l’arrivée, dans l’Eldorado français, la prostitution, les viols, les maladies, les risques, tous les risques pour espérer gagner plus.

Quelques maigres billets (parfois 5 euros pour une passe) arrachés dans un pays totalement étranger, à la langue parfaitement inconnue. Vivre sans papiers, emmurée dans le silence, ne connaître que la peur et la nuit, les lieux isolés, engraisser les marchands de sommeil, acheter le droit de survivre à une suite d’ombres masculines qui défilent avec un billet tendu. Sans parole. Sans désir, sans échange. Une mécanique sexuelle froide. Violence des « clients », harcèlement des policiers. Bienvenue en France.

Que Médecins du Monde — c’est sa vocation et il faut saluer son travail — dénonce la situation sanitaire alarmante de ces femmes, est le minimum de justice qui puisse leur être rendue. Qu’il œuvre pour l’usage du préservatif est une façon de dresser le rempart le plus élémentaire face au danger de mort auquel leur activité les expose.

Le préservatif, un laisser-passer suffisant ?

Mais n’est-il pas temps d’aller plus loin ? Au-delà de la santé de ces femmes, c’est leur vie même qui est détruite. Détruite par ces fantômes dont nul ne semble remettre en cause le comportement, les « clients », l’usage du préservatif constituant apparemment un laisser-passer suffisant.

Il est pour le moins curieux qu’en 2009 la pratique des prostitueurs continue d’être acceptée comme une nécessité, comme une fatalité, que rien ne soit entrepris pour en finir avec ce « droit » d’un autre âge, exercé en rasant les murs.

Posons les questions qui fâchent. Comment ces hommes peuvent-ils justifier, au fond d’eux-mêmes, leurs actes ? Leurs violences ? Comment osent-ils exploiter sexuellement ces femmes en perdition, qui n’ont pas même le recours des mots pour le dire ? Comment vont-ils à l’occasion jusqu’à profiter de leur pouvoir pour refuser le préservatif, seul rempart qu’elles peuvent encore placer entre elles et la mort ?

Pour en finir avec la complicité

Que les « clients » prostitueurs soient mus par l’indifférence est inscrit dans la nature même de leur comportement. Mais pourquoi le corps social tout entier continue-t-il de les protéger de tout son silence, de toute sa complicité ?

Ainsi, les médias, reflet de la pensée commune, évitent-ils soigneusement de poser la question de la violence de ces hommes, de leur impardonnable irresponsabilité. Comment des journaux peuvent-ils faire état de « fellation forcée » [[Le Monde, Les réfugiées du Lotus Bus, 6 février 2009.]] au lieu d’appeler les choses par leur nom ? Une « fellation forcée » est un viol. Faut-il comprendre (inconscient collectif ?) qu’un « client », dont la légitimité n’a décidément pas à être remise en cause, ne peut être un violeur, seulement un homme qui « force » mais reste dans son bon droit ?

A l’heure où la Norvège, après la Suède, vient de voter courageusement une loi interdisant tout achat d’acte sexuel (2008), il serait du devoir de notre pays d’oser en finir avec les représentations fantasmées de la prostitution, de refuser clairement cette exploitation indigne de la détresse des personnes les plus pauvres, les plus vulnérables, les plus oubliées, les plus méprisées.

User du corps d’autrui en profitant de sa situation désespérée est une forme de non assistance à personne en danger. Cela ne saurait rester un droit dans une société qui se prétend à grands cris démocratique et civilisée.