Nous voulons la décriminalisation des personnes prostituées, pas de leurs exploiteurs.
La CATW (Coalition against trafficking in Women) est une des plus anciennes coalitions pour l’abolition de la prostitution.
Quels sont ses buts et moyens d’action ? Quelle analyse faites-vous du système prostitutionnel ?
La CATW est une organisation internationale qui lutte pour mettre fin à toutes les formes de traite des femmes et des filles. Nous sommes les premières à avoir traité de la question de la traite à des fins d’exploitation sexuelle, y compris la prostitution, comme des formes de violences de genre envers les femmes et d’inégalité entre les femmes et les homes.
Le but premier de notre bureau de New York est le plaidoyer à l’échelle locale, nationale et internationale. Nous travaillons très étroitement avec les associations de terrain, les survivantes de la prostitution et les associations de prévention de l’exploitation sexuelle. Nous avons également des bureaux au Mexique et aux Philippines qui font du plaidoyer pour l’adoption de législations efficaces et qui aident les victimes. Elles se consacrent aussi à la prévention des comportements sexistes des jeunes hommes et des garçons, et de l’achat d’acte sexuel.
Un des buts principaux de la CATW est de s’assurer que tous les corps législatifs votent des lois qui dépénalisent les personnes (en majorité des femmes) qui sont achetées et vendues dans le commerce du sexe, et ciblent la demande, les acheteurs de sexe.
En 1999, la Suède a été le premier pays à reconnaître officiellement que le commerce du sexe, y compris la prostitution, est une cause et une conséquence de l’inégalité entre les sexes et des violences faites aux femmes et que cela nourrit la croissance de la traite à des fins d’exploitation sexuelle.
Dans un monde où la prostitution est une pratique culturelle acceptée, les femmes ne pourront jamais être les égales des hommes.
Quels sont les principaux enjeux internationaux actuels auxquels vous devez faire face ?
Partout dans le monde, ily a une résistance idéologique à reconnaitre que la traite et la prostitution sont des formes de violences masculines contre les femmes, exercées pour le profit de tiers. Par exemple, au sein du système complexe des organisations onusiennes, des agences et des gouvernements font un lobbying intense pour redéfinir le trafic d’êtres humains., en le nommant « esclavage moderne ».
Or cette formulation exclut l’exploitation sexuelle du cadre et efface les lois internationales reconnues sur la traite. Dire « esclavage moderne » le rend immédiatement compréhensible pour le grand public, mais ne donne pas une vision claire de qui est agresseur et qui est victime, ni des leviers légaux disponibles. Cette expression efface l’idée que c’est l’abus de pouvoir des trafiquants et des proxénètes sur les individus en situation de vulnérabilité qui est l’un des premiers facteurs de développement de la traite et de l’exploitation sexuelle.
En particulier, le dernier rapport du Bureau international du travail nous inquiète. Il estime que 25 millions de personnes à travers le monde sont victimes de la traite à des fins de « travail forcé ». Ce n’est pas le cas, sauf si on y inclut les victimes d’exploitation sexuelle. Le protocole de Palerme[[Protocole additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, adopté en 2000]] fait une liste détaillée des différentes formes d’exploitation issues de la traite : le trafic sexuel, le travail, le trafic d’organes, l’esclavage. Si les gouvernements adoptaient aujourd’hui telle quelle la notion selon laquelle ces 25 millions de personnes sont victimes de trafic à des fins de travail forcé, cela signifierait que l’exploitation sexuelle et la prostitution, sont une forme de travail…
Or la prostitution est dans le champ des violences faites aux femmes, nourrie par la demande des hommes d’avoir accès aux corps des femmes. Dire que la prostitution est une forme de travail viole la loi internationale et les principes de la déclaration universelle des droits humains, qui entérine le fait que chaque être humain a le droit de vivre une vie digne et libérée de la violence.
L’égalité entre les femmes et les hommes ne peut pas advenir avec un commerce du sexe florissant. Le commerce du sexe, y compris prostitution et pornographie, ce sont des pratiques culturelles violentes.
Quelle est la situation actuelle aux Etats-Unis ? Avec l’adoption de la loi « SESTA-FOSTA » ?
La bonne nouvelle c’est que nous gagnons du terrain sur le plan législatif. Le « modèle de l’égalité » (modèle suédois), qui cible les acheteurs de sexes et dépénalise les personnes avance, avec des fortes contre la traite, au niveau fédéral et des états.
La loi FOSTA-SESTA, qui permet aux victimes et aux états de combattre l’exploitation sexuelle en ligne, est le plus récent de ces outils législatifs. Elle amende la section 230 du « Communications Decency Act »(CDA), qui protégeait des poursuites les fournisseurs d’accès internet qui publient des contenus de tiers. Le CDA a été voté en 1996 ; des années avant qu’on sache ce que deviendrait Internet.
Les exploiteurs et les proxénètes en ont largement profité et certains sites commeBackpage modifiaient les annonces passées par des proxénètes pour dissimuler l’âge des victimes ou embellir les descriptions. Un des propriétaires deBackpage a admis le blanchiment d’argent et la promotion du proxénétisme en ligne.
Des femmes et des filles ont été assassinées par des acheteurs de sexe qui les ont repérées surBackpage. Il était crucial de mettre fin à l’impunité de ces crimes terribles. Mais la loi FOSTA-SESTA ne cible que les sites qui facilitent l’exploitation en connaissance de cause, ce qui reste très difficile à prouver en justice.
Quels sont les freins à l’abolitionnisme aux Etats-Unis ?
Aux Etats-Unis la situation reste difficile culturellement. Nous avons du mal à faire comprendre au grand public que la prostitution n’est ni de la sexualité ni du travail, mais qu’elle fait partie d’un commerce multi-milliardaire qui tire profit de l’exploitation des plus vulnérables : les femmes et filles de couleur qui ont des parcours de violences sexuelles dans l’enfance, d’aide sociale à l’enfance, d’absence de choix.
Dans nos sociétés la transformation des femmes en produits et la glamourisation de la violence sexuelle infiltrent chaque aspect de notre culture, de Hollywood aux publicités en passant par l’art. Quand la « Marche des femmes » ou des féministes de premier plan affirme :« je suis aux côtés des « travailleuses du sexe », savent-elles ce que cela veut dire ?
Nous sommes toutes aux côtés des personnes en situation de prostitution ! Nous en appelons à mettre fin aux arrestations et à toute forme de répression à leur encontre, nous voulons que toutes les violences qu’elles subissent, y compris la violence policière cessent. Elles ne comprennent pas que le terme « travail du sexe » a été inventé par le marché du sexe pour le banaliser et cacher la violence prostitutionnelle afin de profiter de la prostitution d’autrui.
Appeler à la decriminalisation du « travail du sexe » c’est en fait appeler à la légalisation du proxénétisme, de la possession de bordels et de l’achat de sexe. Nous voulons la décriminalisation des personnes prostituées, pas de leurs exploiteurs.
Que pensez-vous de l’émergence du mouvement des survivantes ?
Les lois, seules, ne suffisent pas à changer les choses. C’est pourquoi nous devons soutenir le mouvement des survivantes qui prend de l’ampleur.
Les survivantes de l’industrie du sexe disent la vérité sur les horreurs de la prostitution, du strip-tease et de la pornographie. Leurs récits incluent la violence, l’humiliation et la déshumanisation dont les « clients » prostitueurs ont acheté le droit d’exercer.
Ce sont des « survivantes » parce que la mort, par assassinat, overdose ou suicide ont touché tant de leurs soeurs disparues dans l’industrie du sexe.
Il est de notre responsabilité de soutenir ces femmes qui sont prêtes à contribuer au plaidoyer politique et législative. Elles contribuent à la reconnaissance par le grand public du fait que la prostitution fait partie des violences faites aux femmes. Et qu’elle existe parce que les femmes ne sont pas encore reconnues comme des êtres humains à part entière, qui ont le droit à l’égalité.