Procès de Rennes : la justice hausse le ton contre le proxénétisme

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Le démantèlement en 2017 d’un réseau nigérian sévissant pour l’essentiel à  Poitiers a entraîné la tenue de deux procès, l’un en juin 2018, l’autre en avril 2019, conclus par des condamnations sévères. Retour sur des décisions emblématiques d’un changement de perspective dans le sillage de la loi du 13 avril 2016…

Le jugement rendu par le tribunal de Rennes les 1er et 2 avril 2019 à  l’égard de deux hommes logeant les victimes d’un réseau proxénète nigérian est exemplaire. Les accusés ont été condamnés pour proxénétisme aggravé et association de malfaiteurs, ce qui permet de reconnaître que leur rôle dépasse la simple mise à  disposition de locaux visée par l’article 225-10 : un signal envoyé à  tous les « logeurs » de France.

Le proxénétisme dit « immobilier » ou « hôtelier », défini par le Code pénal comme le fait de tenir à  la disposition d’une ou de plusieurs personnes des locaux ou emplacements non utilisés par le public, en sachant qu’elles s’y livreront à  la prostitution, est une forme de proxénétisme qui peut sembler bénigne. En réalité, les « logeurs » sont dans une position de force écrasante vis-à -vis des personnes prostituées et peuvent exercer violence et coercition à  leur encontre. De plus, ils prélèvent une part importante des 3,2 milliards d’euros du « chiffre d’affaire » de la prostitution en France[[Selon l’estimation réalisée dans le cadre de l’étude « Estimation du coùt économique et social de la prostitution en France » réalisé par Psytel en 2015.]] et sont un rouage essentiel dans le fonctionnement et le développement des réseaux proxénètes.

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Avec le jugement rendu à  Rennes, la justice a reconnu leur rôle déterminant dans le système prostitueur. Ce procès sort de l’ordinaire à  plusieurs égards. Par l’ampleur des préjudices jugés tout d’abord : le procès fait suite au démantèlement en 2017 d’un réseau nigérian impliquant plus d’une vingtaine de trafiquants et une quarantaine de victimes, établi pour l’essentiel à  Poitiers. Pas moins de trois « logeurs » de la ville ont joué un rôle déterminant dans le développement florissant de ce réseau, en lui fournissant en toute connaissance de cause des locaux où installer les femmes prostituées.

Ce procès est également exemplaire par les fortes condamnations décidées par le Tribunal à  l’encontre de ces trois hommes. La gravité des faits reprochés – viols, brimades et menaces s’ajoutant à  l’accusation de proxénétisme – a motivé sans nul doute les peines prononcées : 3 ans pour David Gouleau (jugé en juin 2018), 4 ans de prison pour Laurent Dupont et Hubert Bischoff. Des immeubles ont également été saisis.

La décision rendue en avril 2019 s’inscrit dans la même ligne que le procès ouvert le 17 juin 2018, où le reste des membres de ce réseau avaient été jugés. Le Mouvement du Nid s’était porté partie civile dans cette affaire pour mettre en lumière les différents degrés de responsabilité des personnes impliquées : certaines d’entre elles étaient des « mamas », elles-mêmes victimes de prostitution, comme notre avocate, M° Lorraine Questiaux, l’a démontré dans sa plaidoirie. Le Tribunal avait tenu compte de cet état de fait et avait envoyé un signal fort en condamnant plus sévèrement les hommes. Avec ces condamnations des deux Français pour proxénétisme aggravé et association de malfaiteurs, le Tribunal confirme la volonté de sévir contre les véritables coupables, une ambition qui répond à  l’esprit de la loi du 13 avril 2016.

3 questions à  Maître Lorraine Questiaux, avocate, chargée de mission juridique au Mouvement du Nid

Lorraine Questiaux, vous avez représenté le Mouvement du Nid lors du procès du 1er et 2 avril. Pourquoi le Mouvement du Nid s’est porté partie civile dans cette affaire?

Dans ce procès qui vient d’être jugé à  Rennes, nous avons jugé essentiel de nous porter partie civile au regard de la gravité et de l’ampleur des faits commis par les accusés. Ils ont permis d’installer à  Poitiers un grand nombre des victimes du réseau démantelé en 2017, offrant à  celui-ci une faramineuse manne financière. Loin de s’interroger sur les conditions d’existence de ces femmes, ils les ont au contraire menacées et brutalisées, et même violées pour l’un d’entre eux.

Nous avions donc à  cœur de nous porter au côté des victimes pour appuyer la reconnaissance du préjudice terrible qu’elles ont subi. Il s’agissait aussi de saisir cette occasion d’aider à  mettre en lumière le rôle central des « proxénètes secondaires », les « logeurs », rouage nécessaire de toute organisation proxénète et eux-même en position de force face aux victimes, agresseurs potentiels.

Notre rôle a été de venir avec les éléments basés sur notre expérience pour aider à  décentrer le projecteur des « mamas », des femmes qui sont elles-mêmes victimes et qui ont des circonstances atténuantes, pour le braquer sur ceux dont on imagine d’ordinaire qu’ils n’ont qu’un rôle périphérique. Au contraire, les agissements de Laurent Dupont et Hubert Bischoff auprès des victimes montrent qu’ils étaient parties prenantes de l’organisation proxénète. Il est légitime qu’ils aient été condamnés au chef de proxénétisme aggravé. Et c’est d’autant plus appréciable qu’ils étaient des notables d’apparence très respectable, loin de l’image que l’on se fait des proxénètes…

À Rennes, vous avez pu plaider devant un auditoire conscient de la violence du système prostitutionnel!

Ce procès a été conduit par des magistrats de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS), c’est-à -dire possédant une expérience en matière de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière dans des affaires présentant une grande complexité. Nos argumentaires ont été parfaitement compris et cités par le Parquet, les magistrats de la JIRS et nos confrères.

Le Procureur a demandé des réquisitions sévères au terme d’un argumentaire très technique et maîtrisé. Il a critiqué l’absence de politique pénale en matière de lutte contre la traite et contre les « clients » à  Poitiers, affirmant ne pas comprendre les hésitations de certains parquets sur la pénalisation des « clients », et a qualifié les arguments des opposants à  la loi du 13 avril 2016 comme « déconnectés avec la réalité de terrain et de la gravité des violences ».

Avec les 4 ans de prison finalement prononcés, nous voyons que le tribunal est même allé au-delà  des réquisitions. Ce procès est à  marquer d’une pierre blanche dans la mesure où le tribunal a pris la pleine mesure des dommages causés par les « logeurs » qui fournissent des locaux aux proxénètes qui y mettent en pâture leurs victimes et leur rôle stratégique dans le développement de leur entreprise.

Au-delà  de cet enjeu de reconnaissance du rôle des « logeurs », le procès a permis de reconnaître le préjudice subi par les victimes!

Sur cet aspect encore, nous sommes très satisfaits du jugement rendu. De fortes amendes vont être versés (d’autant que les deux hommes sont solvables) aux victimes ainsi qu’aux associations qui les soutiennent et les épaulent dans leur reconstruction – en l’espèce le Mouvement du Nid et EACP.

Autre victoire : j’avais demandé de consacrer un préjudice spécial lié à  l’exploitation de la particulière vulnérabilité des femmes nigérianes : le JIRS y a fait droit.

Enfin, et c’est fondamental, le Tribunal a précisé que seuls les proxénètes hommes seront tenus solidairement responsables des dommages et intérêts, car ils sont des proxénètes primaires. Cette décision valide notre argumentaire à  l’égard des « mamas », ces femmes elles-mêmes prostituées et victimes du réseau, qui sont amenées à  jouer un rôle d’organisatrices de la prostitution d’autres femmes.

Cependant, je ne peux conclure sur une note entièrement optimiste. Au cours du procès, j’ai demandé à  ce que Laurent Dupont réponde du crime de viol, plusieurs victimes ayant été forcées à  des actes sexuels sous la contrainte de ce dernier : il menaçait de les jeter dehors et de leur couper eau et électricité si elles ne lui cédaient pas. La défense a brandi un argument inquiétant, celui de la contraventionnalisation du viol des personnes prostituées.
Pour la défense, la décision récente du Conseil constitutionnel, qui a tranché récemment en faveur de la conformité de la loi du 13 avril 2016 au regard de la Constitution, appuie une interprétation de la loi qui voudrait qu’un viol commis à  l’encontre d’une personne prostituée, par un homme qui fournit en échange une compensation (ici, le maintien dans le logement) ne puisse donner lieu qu’à  une contravention.
En allant au-delà  des réquisitions du procureur qui demandait un an de prison pour finalement condamner Laurent Dupont à  4 ans, le tribunal semble toutefois avoir pris en compte la nature réelle de l’acte dont celui-ci s’est rendu coupable.