Onlyfans, un réseau social pas si cool

5880

Encore une conséquence du confinement : la popularité croissante du réseau social Onlyfans, dont certaines « stars » et influenceuses font la promotion. Déjà surnommé « l’Instagram du porno », cet outil à la mode, présenté comme « cool », marque une étape supplémentaire dans l’ubérisation de l’exploitation sexuelle et l’aliénation de la personne. Une personne souvent femme et souvent jeune, voire très jeune.

Lancé en 2016 au Royaume-Uni, Onlyfans se présente comme «un site d’abonnement qui permet aux créateurs de contenu de monétiser leur influence ». En clair, ces « créateurs » postent des photos et vidéos exclusives de leur vie privée auxquelles des « fans » peuvent s’abonner, moyennant des sommes allant de 5 à 40 euros par mois environ. Des créateurs qui s’avèrent le plus souvent des créatrices… Rien de surprenant puisque les photos et vidéos peuvent être à caractère sexuel : photos dénudées, strip-teases, vidéos pornographiques. Non seulement Onlyfans, à la différence d’autres réseaux sociaux, ne bannit pas la nudité, mais il est clair qu’il bâtit sa fortune sur ce que certains appellent désormais « l’économie du nude ».

Pour franchir le mur que représente la page d’ouverture du site, seulement ornée d’un logo en forme de cadenas, il faut payer. En échange de son numéro de carte bleue, l’abonné obtient la clé qui va lui permettre d’entrer dans l’intimité de la créatrice ou du créateur qu’il aura choisis. Par une sorte de financement participatif, c’est donc lui qui la (ou le) rémunère directement, la plateforme prélevant au passage une commission de 20 %. De multiples critères viennent ensuite fignoler le lien, permettant d’aller plus loin dans les interactions personnalisées ; par exemple la possibilité de verser des pourboires pour obtenir un «service» particulier. Mieux, beaucoup mieux, que le porno classique. « Ça donne un sentiment de proximité totalement inédit », se félicite un abonné cité par la revue de tendances L’ADN. «C’est cette impression de contrôle sur une star qui semble lointaine et qui rend le contenu plus excitant qu’un porno en streaming “classique” », ajoute un connaisseur dans le même article.

Annonce

Cette mise en relation directe entre les actrices ou acteurs, souvent porno ou très dénudé·es, et leurs « fans », est l’atout d’Onlyfans pour attirer les foules. Une réussite. D’autant que le coronavirus est passé par là. Avec une augmentation de 75 % des inscriptions durant le mois de mars, à en croire ses fondateurs, le réseau a commencé à sérieusement faire parler de lui. Vite décrit comme « LA plateforme sociale gagnante de la crise du coronavirus », il fait l’objet de multiples articles, tous d’accord sur le constat : la plateforme « cartonne chez les jeunes ».

Pour agrémenter ce séduisant emballage, des «stars» se sont empressées de participer à la promo. La chanteuse Beyoncé la cite dans une chanson (« Savage Remix »). Des influenceuses, des rappeuses s’y exhibent en en vantant les facilités. L’« actrice porno » Clara Morgane est de la partie pour faire d’Onlyfans un outil à la mode pour gens libérés. C’est le buzz. Bien entendu, il n’est question que de gros sous. Toutes rivalisent en annonçant des bénéfices à plusieurs zéros à même de faire rêver dans les chaumières.

Avec de telles promesses de gains, et de voyeurisme, la BBC, qui enquête sur le sujet, peut à l’été 2020 annoncer 60 millions d’utilisateurs et 750 000 créateurs de contenu. Début septembre, Le Monde donne le chiffre de 61 millions d’utilisateurs dans le monde, en précisant qu’ils étaient deux fois moins nombreux avant la pandémie.

Il est vrai que tout s’est conjugué pour expliquer le phénomène : la crise avec sa cohorte de chômeurs et de précaires, évidemment, mais aussi la fin des tournages porno, la fermeture des lieux de prostitution et de strip-tease. Beaucoup de ces personnes, sans ressources, se sont « réfugiées » en ligne, et notamment sur Onlyfans, pour tenter de grapiller quelques revenus.

Inévitablement, un certain nombre de jeunes, filles et garçons, y postent désormais leurs « nudes » pour se faire de l’argent. Condamné·es à la misère en ces temps sans jobs ni stages, de plus en plus d’étudiant·es y postent des photos pour arrondir leurs fins de mois. Pour beaucoup, cet exhibitionnisme n’est plus un problème. Sans aller aussi loin, Snapchat et Instagram ont préparé le terrain. « Aujourd’hui les jeunes ont l’habitude de tout poster sur les réseaux sociaux. Ce n’est qu’une étape de plus » déclare à la BBC Mark, un jeune homme qui a perdu son job en raison du coronavirus. S’il dit avoir tenu bon et refusé de poster des vidéos explicites d’actes sexuels, il admet que des usagers à cours de cash pourraient y être contraints..

Outil nouveau ? Vieilles ficelles, surtout

Il est donc temps de réfléchir aux conséquences de cet outil branché, prétendument inoffensif. Le débat devient en réalité houleux tant il est clair que le site encourage, voire rend populaire, le recours à la pornographie et à la prostitution.

Fric, exploitation sexuelle, paiement à la tâche… Des créatrices, le plus souvent au féminin, des fans au masculin. La « modernité » d’Onlyfans ne saute pas aux yeux. Une nouvelle fois, on fait miroiter des sommes astronomiques qui seraient gagnées sans effort. Un recyclage du mythe de «l’argent facile ». En réalité, c’est la précarité assurée pour l’immense majorité des utilisatrices et utilisateurs dans un marché déjà saturé. Sans compter le temps réel englouti par ce type d’activité. Une jeune femme explique tout le temps qu’elle passe à des activités non payées : « prendre des photos, se rendre disponible, faire la promo, répondre aux demandes des “fans” »...
Au magazine Le Point, un certain Simon avoue : « Ça prend beaucoup plus de temps qu’on ne pense. Les gens payent, c’est important d’être régulier. Et répondre aux messages, discuter avec des centaines de personnes, ça demande énormément de temps ».

Une jeune fille, Rebecca, ajoute que « c’est un boulot lourd au plan émotionnel ». « Vous êtes obligée de vous exposer et de vous rendre vulnérable et ça peut devenir dangereux ».

L’absence visible d’un employeur, le format «indépendant » condamnent les créatrices et créateurs à un évident isolement et à un paiement à la tâche sur le modèle d’Uber. Pas sûr qu’il s’agisse d’un progrès… D’autant que ce nouvel outil d’exploitation sexuelle a tout d’une entreprise risquée. Comment tenir secrète son identité ? Garder le contrôle sur son image quand, dans ses conditions générales, la plate- forme précise que le créateur lui donne le droit « d’utiliser, de reproduire, de modi er, d’exposer, de distribuer et de dévoiler les contenus publiés » ? Comment ne pas s’exposer aux insultes, aux pratiques de chantage et de cyberharcèlement, voire de «revenge porn» (utilisation du porno
par vengeance) ? Qui garantit que des fans ne vont pas à leur tour monétiser les vidéos des personnes qu’ils obtiennent sur la plateforme ? Une plateforme qui, semble-t-il, a déjà été victime d’une fuite de contenu pornographique, pourtant prétendument exclusif, en février 2020.

Les mineur·es pas à l’abri

Ce n’est pas tout. Toutes les observations concordent pour dénoncer la facilité avec laquelle des mineur·es vendent leur « nude » sur le site. Si les conditions d’utilisation imposent en théorie d’avoir « 18 ans ou plus », certaines enquêtes, dont celle menée par la BBC dans son documentaire « Nude4sale », montrent que les procédures de vérification d’identité sont défaillantes et que de très jeunes utilisatrices

notamment vendent leurs nus en échange d’argent et de cadeaux. Certaines demandent même conseil à des personnes se présentant comme «travailleuses du sexe» professionnelles pour mieux monétiser, à leur tour, leurs contenus. Certes, Onlyfans a renforcé en 2019 sa politique de vérification de l’âge. Il exige désormais des créateurs qu’ils fournissent nom, prénom, date de naissance, adresse, ainsi qu’une copie de leur passeport ou document d’identité et un selfie à l’inscription. Mais à en croire certains internautes, ces précautions ne sont pas difficiles à contourner.

Onlyfans n’est pas, loin de là, le seul moyen d’accéder à des contenus prostitutionnels et pornographiques en ligne. Les sites de ce type se multiplient. Déjà, en 2015, l’enquête ProstCost du Mouvement du Nid sur l’estimation du coût économique et social de la prostitution en France évaluait à 62 % le pourcentage de prostitution passant par Internet. On peut parier que le phénomène n’a fait que s’accentuer. Mais cette «nouvelle» plateforme est une étape supplémentaire dans la banalisation de la prostitution et de la pornographie (prostitution filmée).

Heureusement, des affaires en cours montrent qu’une prise de conscience est en marche. Rappelons que le site Jacquie et Michel (qui avait encore multiplié les adeptes en proposant des films porno gratuits pour supporter le confinement) est aujourd’hui sous le coup d’une enquête judiciaire pour viols et proxénétisme. De même, le site Vivastreet, dont les rubriques « Erotica » étaient réputées pour héberger des annonces de prostitution déguisées, fait l’objet d’une information judiciaire pour proxénétisme aggravé, ouverte par le parquet de Paris en mai 2018.

 

 

Cet article a également été publié sur le site du Figaro Etudiant le 26 janvier :

Article précédentMelanie : « Au Carlton, nous avons été projetées en pleine lumière »
Article suivantCulture pédocriminelle et prostitutionnelle
Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.