Hommage à Laurence Noëlle, une femme d’exception

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Laurence Noëlle est décédée fin octobre, à l’âge de 57 ans, des suites d’un cancer. Victime de prostitution et compagne de route de l’association et de notre revue, c’était une femme d’un courage et d’une force de conviction exceptionnels.

Claire Quidet, Présidente du Mouvement du Nid, se souvient de Laurence : « Laurence avait cette manière de planter son regard dans le vôtre et de ne plus le lâcher, comme si elle mettait chacune et chacun au défi d’écouter jusqu’au bout ce qu’elle avait à dire, même si c’était douloureux, insupportable… Car après tout, elle l’avait bien vécu, elle... »

Laurence Noëlle (1968-2024) a beaucoup compté pour le Mouvement du Nid : victime de prostitution mineure, elle a demandé de l’aide à l’association en téléphonant un jour de janvier 1985. « C’était le 10 janvier, et nous fêtions cette date ensemble chaque année depuis », raconte Bernard Lemettre, délégué des Hauts-de- France (à l’époque coordinateur du Mouvement du Nid) qui avait pris son appel.

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Laurence Noëlle

La jeune fille, très solitaire et menacée par les « clients » et les proxénètes qui l’avaient conduite rue Saint-Denis, s’était exprimée en ces termes:«Je vous appelle pour pouvoir parler d’amour », elle qui en avait été tant privée.

Après un rude combat contre le système prostitutionnel et les addictions, Laurence Noëlle avait pu s’épanouir professionnellement et sur le plan personnel. Des années plus tard, désireuse d’exprimer ses valeurs dans son travail, elle était devenue animatrice de prévention pour l’association Pour la vie, en Bretagne. Elle intervenait auprès des jeunes pour lutter contre la violence dans les relations et notamment dans la famille.

Laurence : Un engagement total

Elle avait aussi décidé de s’engager activement à nos côtés contre le système prostitutionnel.
D’abord avec son témoignage, recueilli en 1987 par Claudine Legardinier, devenue ensuite son amie pour toujours. Claudine se souvient de ce moment : « La première fois que j’ai vu Laurence, elle avait 19 ans. C’était dans la cuisine de l’ancien pavillon de chasse de Louis XIV, qui abritait alors le Mouvement du Nid, à Clichy. Elle venait, notamment grâce à Bernard Lemettre (qui a tenu une si grande place dans sa vie), d’échapper aux proxénètes qui, à 17 ans, l’avaient livrée rue Saint Denis à des types qui, parce qu’ils avaient payé, estimaient avoir sur elle tous les droits. L’inceste, le proxénétisme, l’alcool et la drogue pour tenir, elle a tout dit. Et nous ne nous sommes plus quittées ».

Un récit très fort qui a inspiré le personnage de Sandra au dessinateur Derib pour la bande dessinée Pour toi Sandra (diffusée dans les collèges et lycées à plus de 200 000 exemplaires).

Par son travail d’animatrice et formatrice ensuite, notamment dans les formations « travail social et prostitution » organisées par la délégation des Hauts-de-France. Marc Helleboid, militant et coordinateur de ces forma- tions, a beaucoup côtoyé Laurence : « elle exprimait avec beaucoup de recul, sans jamais perdre son sourire, la violence que représente l’enfermement dans la prostitution et ses conséquences. Ses nombreuses actions de prévention auprès des scolaires, ainsi que dans les centres de détention, ont marqué profondément les personnes qui ont eu la chance de l’écouter. »

La première survivante

Rosen Hicher, co-fondatrice du mouvement des survivantes :  » Laurence était la première survivante. Une belle personne, une femme engagée, très courageuse. On était là toutes les deux pour créer le mouvement des survivantes.
Elle me faisait rire. Un jour, elle m’a fait écouter pendant 2 ou 3 heures, alors que je travaillais dans les vignes, la chanson “femmes, je vous aime”, elle disait que cette chanson était pour moi. Toutes les survivantes françaises ne peuvent que la remercier. Ce combat, c’était nous deux, et sans elle, je n’aurais pas pu. »

Première survivante française, Laurence s’est pleinement engagée aux côtés de Rosen et du Mouvement du Nid au cours des années de plaidoyer pour l’adoption de la loi de 2016. Des années contées dans le beau documentaire d’Hubert Dubois : Les Survivantes.


Cet engagement était total. Et chaque personne qui l’écoutait s’en rendait compte, se rappelle Claudine : « Quand Laurence intervenait quelque part, on entendait littéralement les mouches voler. Sa puissance de conviction, sa capacité de restituer ce qu’elle avait vécu, même le plus cru, sa vibration (je ne trouve pas d’autre mot), tout impressionnait son auditoire. Comment oublier la magnifique déclaration publique de 2013 à la “Machine du Moulin Rouge ” ? C’était une femme puissante. Vraiment. »

Grégoire Théry, alors Secrétaire général de l’association, se souvient d’une rencontre avec Najat Vallaud Belkacem, secrétaire d’État aux droits des femmes en 2013.
« Je la revois, avec Rosen, dans le bureau de Najat Vallaud Belkacem, précisément planter son regard dans celui de Najat au moment où celle-ci nous rejoignait alors que la réunion avait failli être annulée, lui expliquer « sans filtre » à quel point cela avait été éprouvant et douloureux pour elle, physiquement et psychologiquement, de se rendre à ce rendez-vous, mais à quel point elle y tenait, afin de parler au nom de toutes celles qui n’auront pas la force ou la possibilité de s’exprimer… »

Car oui, parler était une souffrance supplémentaire pour elle, mais elle a eu le courage de le faire, comme lors de la commission de l’Assemblée nationale qui l’auditionnait avec Rosen, toujours en 2013.
« Il m’aura fallu vingt-huit ans pour oser sortir de l’ombre. Adolescente, j’ai été piégée par un réseau de proxénètes et je suis tombée dans la prostitution. C’est le Mouvement du Nid qui m’en a sortie et j’ai dû fuir mon propre pays pour sauver ma peau.
J’avais dix-huit ans alors et il m’a fallu toutes ces années pour sortir de l’ombre. Même le simple fait de vous parler, je le ressens comme un danger.

Aujourd’hui, vingt-huit ans plus tard, alors que je donne des conférences, alors que je travaille pour le ministère de la Justice, pour l’Éducation nationale, rendre public mon passé dans la prostitution me rend encore physiquement malade. Cette peur d’affronter le mépris de la société fait que beaucoup de femmes restent dans l’ombre. Je vous remettrai tout à l’heure un recueil de trente témoignages de ces personnes qui ont encore trop peur pour sortir de l’ombre.

C’est pour sortir leur parole de la honte, du silence et du mépris que je parle devant vous. Cela fait 2 600 ans que nous sommes méprisées : il faut que cela cesse. »

Sortir de la honte

La honte qui pèse injustement sur la victime dans le système prostitueur, il lui aura fallu toute une vie pour s’en débarrasser. D’abord, avec l’écriture de son livre, Renaître de ses hontes, un témoignage indispensable, où elle retrace son parcours traumatique et sa
résilience.

Claudine se souvient : «Je lui avais conseillé d’écrire, ce qu’elle a  fait jusqu’à la fin. Il est beaucoup  question de chance et d’amour, dans ses lignes. La teneur même de ses mots
montre la personne exceptionnelle qu’elle était ; de ces personnes que les  circonstances ne détruisent jamais, qui gardent la faculté de transmettre quelque chose comme de la lumière.  Elle se référait toujours à Viktor Frankl, le psychiatre qui avait tenu le coup à Auschwitz… »

C’est encore pour aider les autres à sortir de la honte, qu’elle a créé il y a deux ans un site reprenant ce titre et plus récemment, enregistré un podcast, dans lequel on peut réentendre sa voix : « c’est dans les ténèbres de ma honte qu’une étincelle s’est allumée »
Enfin, Laurence avait l’immense force et courage, comme Rosen, d’affronter les agresseurs «clients», et de poursuivre le combat pour changer la société, en participant comme témoin aux « stages clients », notamment à Lille où elle parlait devant des hommes soufflés par son témoignage.

Laurence, après tant d’obstacles, de courage et de force, a dû faire face à la maladie, le cancer qui a fini par l’emporter. Claudine qui lui a rendu visite jusqu’à la fin, souligne qu’elle gardait, incroyablement, un amour de la vie – ce n’est pas une formule vide mais une force réelle qui irradiait – qui époustouflait tout le personnel soignant.

Toute l’équipe de la revue et toute l’association s’associent à la peine de la famille de Laurence et nous lui adressons nos condoléances. Laurence – que nous n’oublierons jamais – va tellement nous manquer.

A lire également : le témoignage de Noëlle, larges extraits parus dans Femmes et Mondes en 1987