Equithérapie : un séjour de répit pour retrouver l’estime de soi

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Dans le manège du haras, Marine, debout face à Flicka la jument, la fait reculer doucement par la seule force de ses bras, sans la toucher ; puis la jeune femme poursuit tranquillement son cheminement, en tenant l’animal par le licol. Doriane, l’équithérapeute regarde la scène, tout en encourageant la jeune femme à bien guider le cheval : s’affirmer, sans instaurer de rapport de force.
Marine est très fière d’y parvenir uniquement par sa volonté. « Je ressens en moi une énergie positive, alors que je pensais l’avoir perdue », raconte la jeune femme qui est accompagnée par la délégation du Mouvement du Nid de Paris depuis 2017. « Lorsque l’équipe m’a proposé de suivre ce stage d’une semaine en équithérapie, j’ai très vite saisi l’occasion : J’aime beaucoup les chevaux et j’avais un réel besoin de me ressourcer, de me reposer ! ».
Auprès des chevaux, la jeune femme se sent en sécu- rité ; aussi, se charge-t-elle avec plaisir des tâches d’écurie. «Cet aspect concret est déterminant dans mon séjour car indissociable de tout le reste », explique-t-elle.

Une histoire douloureuse

Les médecins ont diagnostiqué chez Marine, artiste pluridisciplinaire, un stress post-traumatique, associé à des troubles de la dissociation et de la schizophrénie.
La jeune femme avait 25 ans lorsque son petit ami de l’époque, un producteur de musique, lui a proposé de faire des passes, tandis qu’il prenait son pourcentage.

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« Cet homme qui était toxicomane et alcoolique, avait une emprise importante sur moi et me menaçait lorsque je voulais le quitter », raconte la jeune femme qui n’a jamais porté plainte contre lui, par peur des représailles.
Cet homme a fait en sorte qu’elle soit prostituée en Suisse où l’activité est légale. La jeune femme a été également prostituée en France. « Je n’oublierai jamais ce que j’ai vécu », raconte Marine.

 « Je traversais une période de grand flottement, je n’étais pas ancrée dans le sol et j’étais très isolée. Les chevaux aident à remettre les pieds sur terre »

Marine avait déjà effectué un premier stage aux Écuries des Carneaux six mois auparavant. Lorsqu’Agnès qui dirige le centre, avait expliqué à Marine qu’elle accueillait notamment des personnes souffrant de troubles divers (autisme, schizophrénie…), la jeune femme s’était sentie apaisée. À l’époque, elle venait juste d’arrêter son traitement pour la schizophrénie et ne consommait plus de drogue. « Je traversais une période de grand flottement, je n’étais pas ancrée dans le sol et j’étais très isolée. Les chevaux aident à remettre les pieds sur terre », ajoute-t-elle.

Marine a également été très impressionnée par le caractère, la détermination d’Agnès : « Son regard m’a rassurée ; elle m’a prouvé que je pouvais lui faire confiance ». Durant le stage, la jeune femme partage les activités quotidiennes de l’équipe : repas, ménage… « La chaleur de ses membres est très réconfortante pour moi qui vivais dans la glace à ce moment précis de ma vie», explique-t-elle qui cherche également à être utile aux autres. « Je ne veux pas être uniquement dans la position de celle qui reçoit ».

 « J’ai tellement tendance à me rabaisser que lorsque j’obtiens des résultats par la patience, sans me mettre trop la pression, je me sens enfin à la hauteur »

Ce vivre-ensemble est donc aussi important pour la jeune femme que les séances quotidiennes d’équithérapie avec Doriane qui « est parvenue à ouvrir des portes, alors que j’avais mis du ciment pour les bloquer ; pour moi, c’est un miracle ». Avec l’équithérapeute, Marine retrouve des facettes d’elle-même qu’elle avait oubliées. Elle a ainsi le sentiment d’avoir retrouvé une forme d’autorité pour s’imposer et affirmer sa personnalité. « J’ai tellement tendance à me rabaisser que lorsque j’obtiens des résultats par la patience, sans me mettre trop la pression, je me sens enfin à la hauteur », commente Marine. Lorsque la jument se braque, la jeune femme admet que l’animal a son caractère, sans pour autant se remettre en question. « Comme j’ai tendance à me sentir responsable des mauvaises énergies qui circulent autour de moi, le cheval m’aide à retrouver peu à peu confiance. »

L’animal lui permet également d’apprivoiser ses peurs. Lorsque Marine progresse dans le manège avec Flicka, elle sait que la jument ne la lâchera pas, quoi qu’elle fasse : « cela me rassure beaucoup parce que j’ai une peur importante de l’abandon ; que l’on cesse de m’aimer. ».

«Je fais beaucoup de cauchemars, des monstres qui m’agressent »

Après la séance d’équithérapie, Marine conduit le cheval à son box pour le brosser «Cette toilette canalise énormément les énergies ; en prenant soin du cheval, j’ai le sentiment de prendre également soin de moi, de me faire du bien ». Avant de quitter le box, Marine caresse la jument, tout en la remerciant pour le temps passé avec elle : « J’apprivoise mes peurs et assume d’être une personne aimante ». La jeune femme a toujours craint de montrer ce qu’elle considère comme des faiblesses, par peur qu’on s’en serve à ses dépens.
Marine dispose d’un appartement dans le haras où elle peut se retrouver au calme, dans son intimité ; ce qui est important pour pouvoir digérer les émotions et, parfois, juguler ses peurs. «Je fais beaucoup de cauchemars, des monstres qui m’agressent ».
Durant ce second stage, Marine a beaucoup pleuré. «L’été dernier, j’étais anesthésiée. Cette fois-ci, je me suis abandonnée parce que j’étais davantage en confiance avec l’équipe ; je ressentais son soutien indéfectible. »
Durant ce séjour, la jeune femme s’est dépensée physiquement, tout en se ressourçant intérieurement : « J’ai l’impression d’avoir fait une retraite spirituelle en Inde, et non un séjour de répit en haras en région parisienne ».

Pour tous renseignements :
Asso des écuries des Carneaux, Boigneville

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Christine Laouénan
Journaliste indépendante et formatrice, Christine Laouénan est spécialisée dans les sujets de la santé et de la prévention auprès des jeunes. Elle a recueilli de nombreux témoignages de personnes prostituées dans le cadre de son travail pour Prostitution et Société et au cours de l’écriture de la biographie Je veux juste qu’elles s’en sortent, consacrée au militant abolitionniste Bernard Lemettre.