De la rue à Internet, de nouveaux défis pour les bénévoles

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« La rencontre [des personnes prostituées] est la première source de nos activités et de notre pensée », déclarait Christine Blec, ex-présidente du Mouvement du Nid, à l’occasion de la parution du numéro 200 de Prostitution et Société consacré à 80 ans d’actions. C’est sur le terrain que les bénévoles appréhendent en effet la réalité de la prostitution, loin des idéologies ; la complexité de l’itinéraire des personnes, les violences qu’elles subissent quotidiennement et l’enfermement dont elles sont victimes.


Les femmes et les hommes que les bénévoles rencontrent, perçoivent le temps d’un échange simple comme : « Bonjour, comment allez-vous ? » un signe d’intérêt. Au fil des ans, en particulier depuis l’avènement d’Internet, qui multiplie les possibilités de mises en contact avec des prostitueurs, les bénévoles doivent s’adapter, en permanence, à de nouveaux défis.

La prostitution de rue évolue

Sur le trottoir, les bénévoles rencontrent beaucoup de jeunes filles d’origine étrangère – surtout des Nigérianes, victime de la traite des êtres humains à des fins de prostitution. Visiblement, certaines d’entre elles sont mineures.

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Déposées chaque soir et par tous les temps sur un coin de trottoir, par leur proxénète ou par un réseau, elles ignorent souvent tout du quartier, voire de la ville où elles se trouvent. Elles subissent les clients à la chaîne, avant de prendre leur bus, tard dans la nuit, qui les conduira à la périphérie de la ville, dans un appartement où elles logent à plusieurs. Pour créer le lien avec ces personnes, Anne-Marie, à Nantes, parle des petits faits du quotidien ou prend des nouvelles des enfants. À une personne qui demande à approfondir son français, elle propose de se rendre à la permanence pour suivre les cours organisés à la délégation.

À Paris, où une dizaine de sorties ont eu lieu sur les boulevards des Maréchaux et rue Saint-Denis en 2019, la situation des personnes est de plus en plus difficile. Plusieurs phénomènes entrent en compte. Une bénévole raconte : « <i>Cette année, nous avons pu remarquer quelques changements. L’implantation de campements de migrants et la présence massive de forces de l’ordre ont chassé la prostitution de certains quartiers comme la Porte de la Chapelle. Nous n’avons pas su si les personnes se sont déplacées ou si elles ont quitté Paris. De même, dans tous les quartiers où nous sommes passés, les personnes nous ont indiqué que la police n’interpellait pas les clients. L’une d’elles a entendu des policiers dire à un client qui était dans sa voiture avec une femme :</i>« La prochaine fois, allez à l’hôtel ! »<i>. »</i>

Dans les rues de Paris, l’immense majorité des personnes en situation de prostitution sont roumaines ou nigérianes. Les femmes nigérianes sont toutes en situation irrégulière, beaucoup avec des démarches en cours à l’OFPRA. Rue Saint-Denis, leur nombre aurait baissé suite à des opérations de police et à l’obtention, pour certaines, de titres de séjour.

Ces femmes sont très majoritairement de jeunes adultes, célibataires et sans enfant, qui souhaitent rester en France. Les femmes roumaines, elles, sont des citoyennes de l’Espace Schen- gen et n’ont donc pas de problèmes de titres de séjour. Certaines viennent en France depuis 8 ans. Quasiment toutes sont mères célibataires et, le plus souvent, leurs enfants sont toujours en Roumanie. Celles qui, par manque d’argent, ne peuvent pas rentrer pour les grandes fêtes (Noël, Pâques) ou les grandes vacances sont en grande souffrance. Ces femmes souhaitent passer le plus de temps possible avec leur famille restée au pays. Elles ne cherchent pas de travail en France. Les métiers qui leur sont proposés sont peu qualifiés et les salaires sont bas. Avec un SMIC, elles ne pourraient pas facilement se loger, se nourrir et envoyer de l’argent à leurs familles souvent nombreuses.

Rue Saint-Denis, le contact avec les femmes françaises de ce quartier reste très difficile. Si leur situation n’a pas changé depuis quatre ans, elles reprochent au Mouvement du Nid d’être responsable de la loi du 13 avril 2016. Plusieurs d’entre elles ont essayé et abandonné très vite Internet. Elles redoutent de rencontrer des clients inconnus dans des quartiers où elles n’ont pas de repères.

La rencontre sur Internet

Avec le déplacement d’une partie de la prostitution sur Internet, c’est un nouveau défi que doivent relever les délégations du Mouvement du Nid. Après plusieurs années d’expérimentations, les bénévoles se sont adaptés, et la rencontre devient possible. Dans l’Hérault, elles et ils ciblent des sites d’hébergement, des petites annonces dites érotiques, adultes ou des sites d’escorting pour tenter d’entrer en contact par mail ou par SMS avec les personnes. Comme pour la rencontre sur les lieux publics, les bénévoles présentent l’association et proposent un dialogue, de ce style : « <i>Les personnes qui le souhaitent peuvent venir nous rencontrer et discuter. Nous pouvons engager du soutien, de l’écoute ou de l’aide aux démarches.</i> » De plus en plus de personnes répondent, et peuvent ainsi être ensuite accompagnées par ce biais. Régulièrement aussi, des personnes prostituées nous contactent directement via notre site Internet. C’est une des raisons pour lesquelles la refonte du site de l’association, en 2020, a pour objectif entre autres de rendre le contact plus direct avec les personnes en situation de prostitution.

Une nouvelle forme de rencontre de plus en plus fréquente : via des partenaires

C’est probablement une des conséquences positives de la loi du 13 avril 2016. Le Mouvement du Nid et les autres associations de soutien aux personnes prostituées ne sont plus seules à considérer celles-ci comme des personnes ayant besoin d’accompagnement. Reconnues comme des victimes, destinataires de dispositifs de soutien publics, elles sont peu à peu mieux prises en compte par les autres associations et services de l’État. Les situations de prostitution sont mieux repérées. Et de fait, de plus en plus d’autres acteurs/actrices sociales sollicitent les membres du Mouvement du Nid pour un accompagnement. Cela change du tout au tout le visage de la rencontre. Le premier contact se fait en effet désormais souvent avec les personnes par le biais d’un intermédiaire, qui a reconnu que le Mouvement du Nid était le mieux à même de poursuivre ou de compléter l’accompagnement.

Au total, si on constate une légère baisse du nombre de « sorties » sur les lieux de prostitution, c’est aussi parce que les moyens d’entrer en contact avec les personnes se multiplient. À n’en pas douter, le basculement de la rue vers Internet, va continuer à modifier en profondeur la façon d’aborder les personnes et ensuite de les accompagner.