Elles rêvaient d’un autre monde, un documentaire poignant

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Tourné avec la délégation du Mouvement du Nid du Bas-Rhin, ce documentaire présente une particularité. Les personnes prostituées interviewées sont, sauf exception, filmées à visage découvert.

Quand des personnes prostituées parlent à visage découvert…
Relégué à 0h50 le 20 juin 2006 sur France 3, le documentaire de Jean-Claude Poirson a reçu un excellent accueil dans la presse… et occasionné un vif débat au sein du Mouvement du Nid.

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Tourné avec la délégation du Mouvement du Nid du Bas-Rhin, ce documentaire présente une particularité. Les personnes prostituées interviewées sont, sauf exception, filmées à visage découvert. Les récits sont poignants et mêlent la détresse et l’humour. La caméra montre le difficile accompagnement des personnes, leurs conditions d’existence, l’abandon dans lequel elles se trouvent en dehors des heures et de la disponibilité que leur offre le Mouvement du Nid. Il s’agit là de l’un des aspects du travail de l’association au quotidien, un travail qui montre l’engagement de chaque instant de ses militantEs. La délégation a d’ailleurs apporté un soin particulier à l’accompagnement – indispensable – des personnes qui ont fait la démarche de témoigner.

Sans doute le film aurait-il gagné à cibler davantage son propos, les personnes rencontrées étant en majorité françaises et âgées, et correspondant à un pan du paysage prostitutionnel qui peut paraître appartenir au passé. Mais là n’est pas l’essentiel.

Habituellement, dans ce type de documentaire, les visages sont masqués, « floutés ». Cette fois, les personnes témoignent à visage découvert, se montrent pour ce qu’elles sont. Et parlent. Au Mouvement du Nid, les réactions sont vives.

Deux tendances s’affrontent. N’est-ce pas les exposer, disent les premiers, au risque d’être une fois encore stigmatisées, montrées du doigt ? Réduites à leur condition de « prostituées » ? Qu’en est-il des conséquences sur leur famille, leurs enfants ? Le fait de ne pas se cacher donne-t-elle au bout du compte plus de force à leur discours ? Ou les condamne-t-il au contraire à « plaire » plutôt qu’à opter pour une démarche d’introspection qui leur permettrait de revenir sur leur propre vécu ?

Pour les autres, elles ont décidé, en leur âme et conscience, de parler à visage découvert. Ne faut-il pas y voir le signe que la paralysie de la honte qui a toujours injustement pesé sur elles recule enfin ? En personnes responsables, elles ont pesé leur geste.

Ne peut-on y voir un acte de libération, on dirait aujourd’hui un acte de résilience, par opposition à la clandestinité éternelle à laquelle leur activité les condamne habituellement ? Ne plus se cacher, enfin, en finir avec la crainte du regard d’autrui…

Le jeune homme qui d’ailleurs témoigne à visage caché dans le film – et dont les propos sont particulièrement forts – a ainsi décidé de se lever pour se présenter lors d’une projection du film à Strasbourg. Un geste qui signe l’importance de l’enjeu. Reste à savoir quelles seront les suites, l’éventuelle solitude, une fois l’exaltation passée.

Le témoignage des personnes dans les médias est une étape décisive à l’heure où les tenants de la légalisation de la prostitution occupent le devant de la scène. La question est aujourd’hui de rendre possible cette parole pour l’opinion publique, une parole qui demande le respect d’autrui mais jamais la légalisation d’une activité terrible et destructrice. Comment ? Sous quelle forme ? La question est d’importance pour le combat abolitionniste.