Lorraine Questiaux, avocate, chargée de mission juridique au Mouvement du Nid

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La formation des magistratEs est une urgence !

Avocate, chargée de mission juridique pour le Mouvement du Nid, membre de la délégation de Paris, Lorraine Questiaux assure le suivi des démarches du Mouvement lors de procès. Elle anime un réseau de juristes bénévoles et met en place des modules de formation à  l’intention des magistratEs. Une tâche colossale mais essentielle…

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En tant qu’avocate, que pensez-vous de la façon dont les tribunaux traitent les questions de prostitution ?

Les magistrats n’étant pas formés aux problématiques liées à  la prostitution, la chance pour les personnes prostituées de voir une réponse judiciaire adaptée et juste est conditionnée à  la conscience individuelle des magistrats saisis de leur affaire, donc à  une question de personne. Sauf coup de chance, les salles d’audience sont encore pour elles le théâtre de dénis de justice, de discriminations et d’humiliations.

Juste avant le vote de la loi, j’ai assisté à  un procès qui semble sorti de Victor Hugo. Un jeune Afghan, migrant, comparaissait pour avoir frappé un « client ». Ce
dernier avait porté plainte. Dans un réquisitoire d’une rare dureté, la procureure
de la République, avocat de la société, a défendu le fort et humilié le faible en faisant
totalement abstraction du contexte prostitutionnel. Elle est allée jusqu’à  regretter que
les forces de l’ordre n’aient pas interpellé assez vite le mis en cause ! Face à  ce déni
de justice, le jeune homme a revendiqué son acte de violence. Sa révolte lui a valu 2
ans de prison ferme et un mandat de dépôt. Quand on sait qu’il nous est impossible d’obtenir des peines fermes pour les auteurs de violences conjugales, même avec tortures.

Face au « client » bourgeois, le jeune immigré, SDF et vulnérable, n’a aucune chance. Autre exemple : récemment, une magistrate a suggéré à  un homme coupable d’avoir harcelé sexuellement des mineures, d’aller plutôt voir des prostituées[[La Provence, 4 aoùt 2016.]]! Le Mouvement du Nid a l’intention d’interpeller la ministre et l’École Nationale de la Magistrature.

À quoi attribuez-vous ce regard sur les personnes prostituées ?

Aux idées reçues. Pour la société et pour la justice, ce sont des personnes de seconde catégorie qui n’ont pas droit au statut de victimes. Quand elles sont coupables, elles n’ont pas droit à  la moindre indulgence, à  la différence de leurs « clients ». Nous sommes au cœur des questions de domination. Ces personnes sont les plus dominées des dominées : proxénétisme, traite, esclavagisme… La société évite de toucher à  l’ordre patriarcal.

Quelles actions le Mouvement du Nid a-t-il mises en place pour faire évoluer ce regard et venir en aide aux victimes ?

Nous mobilisons un réseau d’une trentaine d’avocatEs bénévoles forméEs qui interviennent soit à  titre gracieux, soit au titre de l’aide juridictionnelle[[Ce collectif a obtenu en 2014 le Trophée Pro Bono du Barreau de Paris qui met à  l’honneur des actions bénévoles ayant pour point commun la promotion de l’accès au droit ou la défense des droits de l’homme.]]. C’est donc un service gratuit pour les bénéficiaires : aide judiciaire pour les titres de séjour, conseils et défense lors de procédures pénales ou fiscales… Depuis 2014, nous nous portons aussi partie civile dans un nombre croissant de procès (six en 2015) : nous allons le faire à  Rouen[[En février dernier, une personne transsexuelle a été tuée par un « client » d’une balle dans la tête.]] dans une affaire de meurtre, à  Strasbourg dans un procès pour viols.

Plus les parties civiles sont nombreuses, plus le rapport de force est en leur faveur. Cette démarche nous permet d’avoir accès aux dossiers et, dans nos plaidoiries, de faire entendre notre parole, comme lors du procès du « Carlton ». Elle a une dimension pédagogique puisque nous donnons des informations sur l’organisation des réseaux, la violence des « clients » ou les mécanismes d’emprise utilisés par les proxénètes…

Comment réagissez-vous à  la décision des prévenus du « Carlton » de se pourvoir en cassation

[[Le 16 juin 2016, la Cour d’Appel de Douai donnait raison au Mouvement du Nid et condamnait 8 prévenus, dont Dominique Strauss-Kahn, à  lui verser 20 000 euros de dommages et intérêts.]] ?

Face à  la relaxe de la quasi totalité des prévenus, dont les violences étaient pourtant apparues au grand jour lors du procès, le Mouvement du Nid avait fait appel afin de faire reconnaître les préjudices causés aux victimes. Nous avons gagné, ce qui a permis de sortir enfin de l’impunité. Maintenant, leur stratégie n’a rien de surprenant. Mais la Cour de Cassation ne juge que les questions de procédure, pas le fond. Au pire, l’arrêt de la Cour d’Appel peut être cassé. Dans ce cas, nous sommes prêts pour un nouveau procès.

Quelles sont les limites de vos actions en partie civile ?

Nous n’intervenons pas dans les procès de « mamas », ces femmes africaines proxénètes qui sont ou ont été elles-mêmes prostituées. À la différence des avocatEs, pour qui un tel discours serait risqué, nous pouvons expliquer que ces femmes, même si elles exercent des violences, sont souvent prises dans un système qui les contraint au proxénétisme. Notre rôle est d’expliquer la complexité de leur situation et de montrer que les enquêtes ne remontent pas jusqu’aux vrais proxénètes, qui tombent rarement ou alors pour des infractions mineures.

Quels sont vos rêves en matière de formation des personnels de justice?

Nous avons déjà  un programme de formation auprès de nombreux barreaux. Nous pouvons y délivrer des éléments concrets, par exemple les pathologies psychologiques qu’engendre la prostitution et qui restent méconnues. Mais nous voudrions aller plus loin et intervenir régulièrement à  l’École Nationale de la Magistrature. Pour le moment, un partenariat nous permet d’accueillir chaque année un élève magistrat à  la délégation de Paris ; c’est loin d’être à  la hauteur de nos espérances…

Plus largement, nous remplissons une mission d’intérêt général et le financement des délégations du Mouvement du Nid ne cesse de diminuer alors que les besoins sont décuplés. Nous sommes débordés, confrontés à  un énorme travail gratuit, à  des heures d’écoute, d’orientation face à  des personnes démunies et isolées. Il faut une volonté politique réelle, une refonte du droit, une façon nouvelle d’appréhender le justiciable.

Quel est votre sentiment après le vote de la loi du 13 avril?

On sent des progrès dans la prise de conscience. Nous sommes de plus en plus sollicités par les professionnelLEs de l’action sociale et par des personnes prostituées qui veulent arrêter. Cette loi est une avancée majeure même si le prostitueur n’est passible que d’une simple contravention.

Le fait que le proxénétisme entre désormais dans la liste des infractions graves ouvrant droit à  indemnisation est aussi un progrès important. Mais il reste bien des questions : la prostitution par Internet, les réseaux qui se durcissent pour enrôler les plus précaires, telles que les mineures de l’ASE ou les fugueuses… Les victimes rajeunissent, comme les proxénètes qui sont de plus en plus intéressés par ce business dans les cités.

Il faut une politique pénale intransigeante face à  ces réseaux qui se passent les jeunes filles entre copains. Il s’agit bel et bien de bandes organisées ; il faut qualifier ces faits de crimes au lieu de colporter que la sexualité, aujourd’hui, c’est comme ça.

Votre délégation envisage-t-elle d’organiser des stages pour les prostitueurs?

Je suis hostile à  l’idée de stages de sensibilisation, ces journées avec des discours et un powerpoint. Il faut tout faire pour ne pas banaliser le comportement du prostitueur qui est un potentiel violeur. Il y a dans la loi une disproportion entre la peine et la gravité des faits. Je verrais plutôt un accompagnement par des structures telles que celles qui existent pour les auteurs de violences conjugales.

Pour conclure, que voudriez-vous dire d’essentiel aux magistrats?

Que la prostitution n’est pas un phénomène en marge mais une question centrale. Elle est au cœur des débats actuels les plus brùlants et elle a un effet papillon : de jeunes migrantEs qui traversent la Méditerranée sont contraints à  la prostitution pour financer leur traversée. Mohamed Merah était fils d’une femme prostituée… Il y a un lien entre toutes ces violences et les grandes questions qui agitent la société. Si l’on prenait vraiment en compte les problèmes de violences, de viols, de prostitution et de pornographie, on économiserait des millions d’euros et de vies humaines ; car beaucoup de situations désastreuses découlent de ces réalités qui ne sont pas prises en compte.

Cet article est paru dans le numéro 189 de notre revue,Prostitution et Société. Pour nous soutenir et nous permettre de continuer à  paraître, abonnez-vous!

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.