Aux Etats-Unis, un documentaire frappe un grand coup pour dénoncer l’ampleur de l’exploitation sexuelle des adolescentes qui trouve grâce à Internet et la complicité de certains sites comme Backpage.com son eldorado.
Fin 2016, l’affaire Backpage aux Etats-Unis a eu du retentissement jusqu’en France avec l’arrestation -temporaire- de son CEO Carl Ferrer. « I am Jane Doe », de Mary Mazzio,(1) retrace le combat de survivantes, de leurs mères et d’avocats d’Outre-Atlantique pour tenter de faire condamner le site de petites annonces pour complicité de trafics d’êtres humains à des fins d’esclavage sexuel de mineures.
La publication en ligne d’annonces d’escorting est une aubaine pour les proxénètes. Ils n’hésitent pas à enlever et vendre des jeunes filles à cette fin sur les sites de petites annonces. Ces sites se défendent d’être complices de cette exploitation, affirmant « ne pas être responsables du contenu illicite de certaines des annonces qu’ils publient ». Le « CDA », loi sur le numérique les protège d’ailleurs, stipulant que le tiers qui publie une annonce n’est pas responsable de son contenu, au nom de la liberté d’expression. Ils affirment mêle collaborer avec la police pour dénoncer la prostitution de mineur.e.s (ce qui n’est pas sans rappeler l’affaire « Vivastreet » en France)
Le film démontre pas à pas que cela n’est pas vrai : non seulement les intermédiaires savent qu’il y a des annonces illégales publiées sur leurs sites – ce sont ces annonces-là qui rapportent de l’argent , mais ils délivrent même des conseils pour passer le filtre de la censure. Ainsi, alors que certains mots évoquant le commerce sexuel d’enfants sont interdits, ils délivrent des « tutos » (tutoriels, guides d’utilisations) pour indiquer un code qui permet que les annonces soient publiées.
Et l’embauche, temporaire, de quelques modérateurs des petites annonces montre très clairement son peu d’efficacité.
Alors que des cabinets d’avocats se battent pour faire reconnaître l’atteinte fondamentale aux droits humains dont sont victimes ces jeunes filles, les juges chargés de statuer donnent le plus souvent raison à Backpage, et montrent leur méconnaissance de la réalité de la prostitution…ou leur volonté de ne pas savoir.
Heureusement, les choses bougent petit à petit. Une commission du Sénat est désormais en place pour enquêter sur les agissements de Backpage. Moment extraordinaire du film : quand l’on voit le sénateur John Mc Cain (ancien candidat républicain face à Obama), exprimer sa stupéfaction devant le fait que le PDG de Backpage n’a même pas daigné se rendre à la convocation des Sénateurs (2) !
Ce film essentiel expose comment, des centaines de milliers d’enfants, souvent en souffrance, sont la proie des proxénètes, et met les Etats-Unis devant un choix de société fondamental : veut-on protéger les enfants (et toutes les personnes fragiles) d’atteintes profondes à leurs droits, ou le commerce des géants d’Internet ?
Le documentaire « Elles ont un nom » en français, est visible sur Netflix, itunes et Amazon
Sandrine Goldschmidt
(1)Aux Etats-Unis, une « Jane Doe » est une madame tout le monde, une « quidam ». Dans ce documentaire, elles sont plusieurs ex-esclaves sexuelles mineures qui ont été souvent enlevées, et vendues via ce site et qui ont le formidable courage de s’engager dans un combat de David contre Goliath.
(2)Le film se termine fin 2017. La commission sénatoriale chargée d’enquêter continue ses auditions. On surveillera avec grand intérêt la suite.