Ces quelques extraits d’un entretien réalisé auprès de cet homme d’une quarantaine d’années, client de la prostitution depuis le service militaire, évoquent le recours à la prostitution comme un acte de consommation caricatural, une recherche de « nouveaux produits » et de « bonnes affaires » dans des supermarchés du sexe conçus pour déculpabiliser « l’acheteur ».
– Dans quelles circonstances a eu lieu votre première expérience avec une personne prostituée?
Au service militaire. En sortant de la caserne, c’était un quartier militaire, y’avait nous, des canadiens, des allemands et des américains, donc dans ce quartier-là, la ville était couverte de bars de rencontre, enfin c’étaient des prostituées, il y avait une dizaine de bars.
On avait un mess où on payait 20 centimes la canette de bière, je pense qu’on aurait été moins enjoués d’aller dans un bar de rencontre si on avait pas bu un coup, c’est sùr.
On allait au bar, on avait beaucoup bu, quelques filles nous rejoignaient. Tout de suite on sent les affinités, on commençait à discuter, elles parlaient très mal le français, on buvait un coup, deux coups, c’était tard dans la nuit et puis, en haut, il y avait quelques chambres, ça durait très peu de temps.
Pour environ 60% des clients, l’armée et les fêtes entre copains sont l’occasion du premiers recours à la prostitution[Extraits de l’enquête L’homme en question. Le processus du devenir-client de la prostitution. Vous pouvez la télécharger sur cette page : [Clients, le grand secret.]].
– Auriez-vous eu l’occasion de rencontrer une petite amie…hors de la prostitution ?
Vous êtes habillé en kaki, tout le monde est pareil, on n’allait pas draguer, on s’était dénigré avant d’aller essayer, ça nous intéressait pas quoi, puis de perdre du temps en plus, de sortir, d’aller en ville, non…
Je suis allé en Thaïlande avec un copain, je me lancerai pas en Thaïlande à draguer quelqu’un, vous ne pouvez pas, ça grouille de prostituées. C’était sùr qu’on allait pas sortir draguer quelqu’un quand on a vu comment ça se passait : ça a été un choc, 400 filles derrière la vitrine, donc on s’est dit on va louer quelqu’un et puis on passera une bonne soirée
.
– Une bonne soirée ?
C’est pas comme des prostituées françaises : vous prenez une prostituée, vous pouvez la sortir pour la nuit, le prix est dérisoire et elles jouent très très bien le jeu, au bout des dix premières minutes elle fait comme si vous vous connaissiez depuis des années, comme si vous étiez un couple qui s’embrasse…
Mon ami lui pendant trois, quatre soirs de suite il a repris la même fille, croyant qu’il avait un truc avec elle. Moi quand j’ai revu la mienne dans la vitrine j’ai détourné les yeux, j’ai pris quelqu’un d’autre, jamais j’aurai repris la même personne.
Ils jouent bien le jeu en Thaïlande, c’est un sport là-bas.
On a pas l’impression de la payer, on a un monsieur derrière un guichet, on la veut pour la nuit, il annonce le prix, on a pas l’impression de la payer elle, puisqu’on paye un monsieur qui est derrière un guichet.
Vous rentrez dans le casino, il y a à peu près 250 ou 300 prostituées derrière une vitrine, il y a quelqu’un au micro et vous avez trois couleurs de prostituées, qui portent un badge ; elles ont des couleurs, c’est en fonction des prix parce que vous avez des bleus, des vertes et des blanches, les stars. Vous en louez une, entre guillemets louer
, c’est comme ça qu’ils parlent les thaïlandais, vous la louez pour une nuit complète.
– À ce moment-là, votre expérience de la prostitution, vous la cachez? Vous en discutez ?
Les hôtesses, on en parle avec les copains ; au lieu de dire une minute j’allais peut-être dire à mes copains que ça durait une demi-heure. La peur parce qu’une professionnelle, elle pouvait leur dire, eh ben tu sais ton copain hier c’était pas terrible
.
Parfois, j’ai eu envie de faire marche arrière, mais on a sa fierté, les copains derrière qui regardent, qui m’auraient vu redescendre au bout de 2 minutes, je pense que c’est ça, la fierté ou des choses comme ça…
Alors quand on en parlait on enjolivait la vérité, je pense, on était tous pareils.
L’attitude
d’acheteur de marchandises, selon Saïd Bouamama, caractérise les clients qui multiplient les rencontres avec des personnes prostituées et desmaîtresses, en utilisant un vocabulaire issu du commerce : achalandé, vitrine, loué…[[]]
– Après l’expérience en Thaïlande, vous choisissez de fréquenter des « clubs »?
En Belgique ce sont des bars où vous choisissez une hôtesse, vous montez, c’est fermé, c’est au chaud, c’est propre, c’est bien réglementé, la police passe dans les trucs, y’a pas la peur de se faire arnaquer.
Il y a un club, ce sont des personnes déjà plus distinguées, je suis tombé sur une fille elle avait un DEUG de science politique, de belles filles, il y en a que quatre mais qui sont triées sur le volet ; les autres clubs, c’est bien achalandé, il y en a dix tout le temps, y a toujours le panel ; mais celui-là, les prix sont pas les mêmes et c’est plus classe.
Pour moi il faut pas qu’elle soit trop maquillée, trop vulgaire. Le truc qui se vend tape-à-l’œil j’ai horreur de ça, trop maquillé, trop échancré, c’est vulgaire donc c’est pas intéressant.
– Que cherchez-vous dans la prostitution? Vous vivez en couple, il ne s’agit pas de « solitude » à combler…?
Avec ma concubine je me sens bien mais ça fait quinze ans qu’on se connaît, donc, j’ai l’impression que ça apporte plus rien, je la connais par cœur, comment elle va réagir, ça m’intéresse moins.
J’ai des maîtresses mais j’ai besoin quand même d’aller aux prostituées, ça m’est déjà arrivé de dire avec cette personne-là c’est vrai je suis bien et tout
… Mais je me lasse vite, je me lasse très vite, j’ai l’impression de la connaître par cœur. Alors des maîtresses j’en ai, j’en ai, mais je vous dis je me lasse vite.
Au début les trois premiers mois c’est tout beau, tout neuf, et puis je me lasse. Moi j’ai besoin de découvrir quelqu’un d’autre, l’acte sera toujours pareil je pense…
À hauteur de 70%, les hommes qui ont répondu lors de l’enquête de Saïd Bouamama ne sont pas isolés; ils vivent en couple, ou bien ont connu une vie maritale, ou bien ont des « maîtresses ».[[]]