Onu, le Conseil des droits de l’homme fait le choix de l’abolitionnisme
Pas de « sex work » pour le Conseil des droits de l’homme de l’ONU ! Avec un grand courage, dans le contexte international de banalisation d’une des pires violences faites aux femmes, le rapport exceptionnel de Reem Alsalem, rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes et les filles, défend en mai 2024, sans la moindre ambiguïté, la position abolitionniste en matière de prostitution et de pornographie.
Composé de 47 États membres renouvelés tous les 3 ans, le Conseil des droits de l’homme est un organe de l’Onu chargé de traiter les situations de violation des « droits de l’homme » (à quand en France l’expression « droits humains » ?) et de formuler des recommandations.
Pour parvenir à ses conclusions, la rapporteuse sur la violence contre les femmes et les filles, la jordanienne Reem Alsalem, a synthétisé 300 communications provenant d’associations du monde entier, parmi lesquelles le Mouvement du Nid, la Fondation Scelles et CAP international, et organisé des consultations en ligne avec 86 experts et femmes concernées originaires de tous les continents.
Chose exceptionnelle, le rapport refuse d’utiliser le terme de « travailleuses du sexe » qui « évacue les graves violations des droits de l’homme qui caractérisent le système prostitutionnel ».
Une forme globale de violence masculine
Sa vision d’une « forme globale de violence masculine » a l’avantage de procéder à une analyse d’ensemble d’un système « fortement influencé par les normes patriarcales, par les abus de pouvoir et la demande sexuelle masculine » et nourri par les inégalités économiques, les conflits, la destruction des écosystèmes par les industries extractives, les séquelles du colonialisme, la guerre, les catastrophes humanitaires, toutes situations conduisant « au déplacement forcé des femmes et des filles ».
Aux antipodes de l’idée de « choix individuel », le rapport aborde les facteurs de risque que sont le handicap, l’âge, la classe sociale, l’appartenance raciale ou ethnique, le statut migratoire et juridique, l’orientation sexuelle et l’identité de genre.
La violence constitutive de la prostitution (la pornographie n’est pas oubliée, lieu majeur d’agressions et d’insultes) est analysée comme provenant « surtout des acheteurs d’actes sexuels » qui usent des viols et des coups, « notamment en cas de refus, passivité ou dissociation ». Sont également cités les féminicides, les meurtres en série et les menaces de mort. S’y ajoutent les violences psychologiques graves, dépressions, toxicomanie, troubles alimentaires, dissociation, états suicidaires… Tout ce que nos associations constatent sur le terrain.
Des dimensions importantes sont soulignées dans ce rapport : par exemple le racisme et la sexualisation du racisme comme ressort majeur du système, sur le constat que « les femmes qui se prostituent dans les pays riches appartiennent de façon disproportionnée à des groupes ethniques minoritaires, les acheteurs d’actes sexuels étant quant à eux issus de groupes majoritaires, ce qui accentue la dynamique raciste en œuvre. » Mais aussi le fait que le proxénétisme n’est pas le seul fait de proxénètes mais bien de multiples secteurs de la société (famille, forces de l’ordre, autorités religieuses, secteur hôtelier, plateformes en ligne, etc).
L’échec allemand pointé par le Conseil des droits de l’homme
Le rapport se livre par ailleurs à une analyse des différents régimes juridiques en place dans le monde. Il pointe l’échec du modèle réglementariste adopté par des « États proxénètes ». En Allemagne par exemple, sur le chiffre estimé de 250 000 prostituées, seules 28 280 étaient enregistrées auprès des autorités fin 2022, et 50 d’entre elles seulement disposaient d’un contrat de travail officiel » ; le résultat le plus probant étant l’augmentation de la demande et la hausse considérable du nombre de femmes étrangères exploitées dans les bordels.
Le rapport prône donc le modèle abolitionniste, adopté notamment en France, en Suède et au Canada : « En transférant la responsabilité pénale sur l’acheteur et en considérant les prostituées comme des victimes d’une discrimination systémique et de la violence à l’égard des femmes, il offre à celles-ci des solutions de prévention, de protection et de sortie de la prostitution. »
Les conclusions et recommandations sont les nôtres : soutenir les victimes de prostitution par un modèle abolitionniste global en les décriminalisant, en leur fournissant un soutien total et des voies de sortie ; en criminalisant l’achat d’actes sexuels ainsi que toutes les formes de proxénétisme ; en organisant des campagnes de sensibilisation en direction des « acheteurs » et de prévention vers les plus jeunes.
D’excellentes remarques étoffent ces recommandations : « Les niveaux extrêmes de violence infligés aux femmes en situation de prostitution − qui ne seraient jamais acceptés dans d’autres contextes − sont couverts par une transaction financière, conçue pour matérialiser un soi-disant « consentement » qui ne peut s’exprimer librement dans le système prostitutionnel. Dans ce contexte, la notion même de « consentement » est instrumentalisée contre les femmes en situation de prostitution, le consentement étant extorqué par la coercition physique ou économique, la manipulation et la violence. »
Le rapport propose également d’enquêter sur les crimes commis dans le cadre du système prostitutionnel et de qualifier par exemple de féminicide le meurtre de femmes ou de filles prostituées. Enfin, il rappelle que rien ne sera possible sans « s’attaquer aux causes fondamentales du système prostitutionnel, notamment au sexisme, au racisme, à la domination de classe et aux lois sexistes discriminatoires qui piègent les femmes et les enfants dans la pauvreté et les rendent vulnérables face à la prostitution. »
Le rapport complet est ici : Rapport ONU