L’Ange de Pigalle est le témoignage de Linda, 77 ans, une « traditionnelle » qui a écrit son récit de vie pour sa fille mais également pour montrer aux adolescentes, tentées par l’argent facile, l’envers du décor. Récit de 50 ans de prostitution. Un témoignage bouleversant !
Comme pour tant d’autres femmes, l’entrée dans la prostitution de Linda est due à ce qu’elle décrit comme une mauvaise rencontre, celle d’un proxénète déguisé en amoureux, mais également à la pauvreté.
Nous sommes dans les années 60. Paulette (son vrai prénom), ouvrière dans une filature de soie, donne chaque mois son salaire à ses parents qui sont dans la misère. Pour seule distraction dans ce coin reculé des Ardennes, cette jeune fille de 18 ans fréquente les bals du samedi soir.
Un jour, elle y rencontre Gérard qui vient de Paris. Avec « son air de dur à cuire, ses yeux gris métallique, ses sourires, avides, sauvages », c’est un homme auquel nul ne résiste.
Dans le village, il attire les regards avec sa Buick, une voiture américaine rutilante. Gérard fait de grandes déclarations d’amour à Paulette et séduit la mère de la jeune fille avec bouquets de fleurs et boîtes de chocolats. Gérard promet à Paulette « le luxe, le fric, le chic ».
Paulette est enceinte de six mois lorsqu’elle quitte le village, l’usine, sa famille pour aller vivre à Paris avec Gérard chez ses parents, avenue de l’Opéra et se marier. La jeune fille porte en elle les aspirations de grandeur de sa mère qui sombre dans l’ennui, l’alcool. « Dans ses mots, ses silences, ses regards émerveillés, j’ai attrapé son rêve. Paris m’appelle. » Pour sa mère, Paulette a décroché la lune.
Quand Paulette devient Linda, « l’ange de Pigalle »
Dès son arrivée à Paris, le sort de la jeune fille naïve est scellé. Séquestrée dans une chambre sordide d’un hôtel borgne de Pigalle, Paulette est mise de force entre les mains d’une femme qui, à l’aide d’une aiguille à tricoter, l’avorte de force. Peu après, la jeune fille accouche d’un foetus mort, avant d’être abandonnée à son sort, tordue de douleur.
Mais Gérard veille et attend son heure. Un jour, le julot lui entonne le refrain classique : « Nous n’avons plus d’argent » et, tout miel, déroule ses promesses d’un avenir meilleur : « juste quelques heures par jour et ça rapportera beaucoup d’argent ».
C’est ainsi que Paulette/Linda qui est encore mineure, arpente les rues du quartier de la Madeleine. « Ce jour de l’hiver 1963, j’ai tué quelque chose en moi qui était mourant, mais je l’ai achevé… Je devais tuer Paulette pour survivre en Linda ».
Linda est une « traditionnelle », comme elle le souligne. Pendant plus de 50 ans, elle aura tout connu : hôtels de passe, clubs libertins, palaces, mais aussi un éros center en Allemagne… Elle donne l’argent des passes à son mac qui est devenu son mari et lui a entaillé le front avec un couteau, comme on marque le bétail. Il ne cessera jamais de la violenter.
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Une sortie difficile
Si Linda, « l’ange de Pigalle », est restée si longtemps dans la prostitution, c’est parce qu’elle a été « piégée par sa saloperie de mari et l’obsession souterraine de ne jamais revivre la misère dans laquelle elle est née ».
A la fin de son récit de vie très prenant, Linda sait qu’elle a « brisé l’atavisme de la misère familiale, mais pas le silence qui unissait ma mère, mon père, mes frères et moi. On peut passer une vie ensemble, côté à côte, sans se dire l’essentiel ».
L’auteure n’a jamais rien laissé filtrer de son activité sur le trottoir, comme elle a toujours gardé sous silence l’agression sexuelle dont elle a été victime par le curé du village, l’année de sa communion. « Rien ne s’est passé. D’accord Paulette ? si tu parles, je t’accuserai de mentir », lui a froidement demandé l’homme d’église. « Il m’a fallu presque toute une vie pour en parler, je veux que la honte change de camp », prévient Linda/Paulette qui ne veut pas pardonner.
A la fin de son récit, elle s’adresse aux « occasionnelles », « les jeunes filles qui se prostituent sur internet, convaincues que c’est de l’argent facile. A ces jeunes femmes aveuglées, j’aimerais dire que si c’était à refaire, jamais je ne quitterais l’usine et Givet (NDLR : la ville de son enfance). « Vendre son corps, c’est prendre le risque d’ouvrir une plaie qui ne se referme jamais ».
L’ange de Pigalle, Linda avec Jean Arcelin, XO document, mars 2021