Sentir mon corps brûler, le premier roman d’Aure Hajar nous plonge dans le monde de la prostitution étudiante… un monde dans lequel Lila croit entrer « de son plein gré », que ce soit dans « l’escorting » ou les tournages porno. Avant de découvrir une entreprise d’auto-destruction savamment orchestrée par le patriarcat…
Le roman est brutal. Et puissant. Dès le départ on sait que Lila n’est plus dans le déni du système qui l’a détruite, qu’elle en est sortie. On la voit d’autant plus douloureusement s’y perdre, y plonger, avant de pouvoir s’en extraire.
Sur son passage, des hommes, des « clients » prostitueurs de tout type, du militant politique d’extrême-droite au sérial-violeur de prostituées, qu’elle qualifie de « bêtes ». Parce qu’ils sont incapables de voir en face d’eux une être humaine. « L’injustice entre les femmes et les hommes me frappait à chaque instant de mon existence. Mais au lieu de la combattre, je m’étais contentée de vivre avec et d’oublier qui j’étais », constate-t-elle.
Des femmes aussi ont une place majeure dans Sentir mon corps brûler. Avant même de commencer la prostitution, encore nommée « escorting », elle rejoint la « putosphère » sur Internet, seul endroit où les femmes peuvent parler de qui elles sont, de ce qu’elles font, dans une sororité parfois réelle, parfois apparente… Elles la mettent en garde contre les mauvais « clients », la conseillent, la soutiennent, la critiquent parfois.
Ces femmes, sont les seules êtres humains à qui elle parle, dès lors qu’elle s’enferme, seule, dans sa chambre de bonne parisienne, et que la violence de la stigmatisation la coupe des autres étudiant·es avec qui elle est en fac de droit, en échec…de plus en plus en échec.
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Sentir mon corps brûler, aussi dans le « porno »
C’est dans le « porno », face à des hommes manipulateurs et violents, qui à chaque instant nient l’humanité de celles qu’ils violent et dont ils exploitent l’image, tout en leur disant qu’ils les aident à devenir des femmes libres, qu’elle rencontre celle qui va lui donner la force et l’inspiration d’en sortir. Esther, dont elle se rapproche, avec qui elle vit une amitié amoureuse, et qui lui « révèle » la réalité crue de ce qu’elles sont en train de vivre.
« Et puis il y eut ce jour où elle fit preuve d’une clairvoyance plus grande que celle qu’on lui connaissait d’ordinaire ». Après avoir cru qu’en se laissant violenter et humilier volontairement elle gardait le contrôle, Esther a pris conscience, dans un « plan à trois » filmé, de la réalité : « après que Mike eut frappé Rachel au visage ; elle perçut le vide dans les yeux de Rachel ; Elle était bien là et pourtant elle ne l’était pas. Elle se dissociait ».
Elle comprend alors que les hommes profitent de ce que chacune d’entre elles a vécu avant de « choisir », de « consentir » à la prostitution : de la violence sexuelle patriarcale, le plus souvent dès l’enfance.
Un choc, qui va faire remonter petit à petit les souvenirs, lever l’amnésie traumatique, remonter aux sources d’une habituation à être considérée comme un objet, à « ne valoir que ça ».
« Mon lit devint un gouffre, je m’y enfonçais.
Cela ressemble à une disparition. Ou à une renaissance.
Peut-être les deux ».
Après avoir cessé toute activité prostitutionnelle, toute vie tout court, ne se lavant plus, ne sortant plus de chez elle, Lila est « sauvée » par Esther qui l’oblige à sortir. Face à ses porno-prostitueurs qui ne font que parler de leur petite personne, ne pensent qu’à eux tout en les écrasant elles, elle finit par dire stop… et trouver les moyens de se créer un autre avenir, loin des hommes.
Sentir mon corps brûler est un premier roman fort, qui lève le voile sur le piège dans lequel de nombreuses étudiantes se retrouvent prises malgré elles, dans une société qui fait tout pour qu’elles y tombent…
Sentir mon corps brûler, Aure Hajar, Editions Eyrolles, 2023