Qui lit la première page de ce récit authentique et réfléchi ne peut plus s’en défaire.
Voilà une histoire terrifiante. Atrocement vraie ; celle d’une jeune fille bulgare, victime de la traite pour la prostitution, et qui nous renvoie une image au scalpel de l’Europe d’aujourd’hui. Le titre, dérisoire, comme la couverture du livre, une mauvaise photo, sont dissuasifs. Pourtant, qui lit la première page ne peut plus s’en défaire.
Galina est précise et lucide. Son récit est d’abord une parfaite analyse des rouages qui aboutissent à livrer des jeunes filles à des proxénètes : le contexte social d’abord, parfaitement décrit, l’économie sinistrée vécue au quotidien, la prostitution qui devient « tendance », la corruption généralisée, mais aussi au plan personnel la banalité de la violence et de l’inceste, l’abandon familial. Une vie de chaos sans recours aucun.
Galina raconte la rencontre avec Iva, la rabatteuse, le verre rempli de drogue et l’enlèvement en boîte de nuit, dont l’entrée lui a été offerte ; enfin, l’horreur de l’abattage, les viols collectifs, les humiliations, les affrontements des mafias, la complicité des autorités, les tentatives de fuite, de suicide, le whisky pur.
Vendue et revendue, Galina connaît l’emprise d’un pouvoir machiste illimité et d’un système de terreur totale. Les proxénètes s’offrent même le luxe de laisser les jeunes femmes voyager seules tant leur soumission est acquise.
L’intérêt de son récit tient à la finesse de l’analyse. Galina décrit parfaitement la façon dont ses proxénètes font aussi semblant de ne pas la forcer : petit à petit, on m’habituait à cet univers, on me faisait participer à ce commerce sans que je me rebelle.
Modelée selon le bon désir de ses bourreaux, dépossédée d’elle-même, elle devient dépourvue de tout sentiment, emportée par un fatalisme total ; formatée pour être une machine à sous
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« Exportée » sur les trottoirs de Toulouse, elle multiplie les clients, satisfaits de s’offrir, contre un billet, cette belle et grande fille « de l’Est ». Viol et agression font partie de « l’accueil » français. Quand, à bout de souffle et de révolte, Galina finit par dénoncer ses bourreaux, au prix du courage que l’on imagine, l’Etat l’abandonne à son sort. Sans secours, sans papiers. Si un ami sùr et une association n’étaient pas là pour la soutenir, serait-elle encore vivante ?
Ce réquisitoire impitoyable contre le proxénétisme, les réseaux, le pouvoir machiste et l’indifférence des autorités laisse sans voix. Aujourd’hui, d’autres Galina sont à nos portes. Qui s’en soucie ?