Dépôts de plainte : des progrès, mais peut mieux faire

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Déposer plainte. Pour les victimes de violences sexuelles et sexistes, c’est une étape cruciale pour espérer obtenir réparation. Si, avec metoo, les plaintes ont connu une forte hausse, si des progrès ont été obtenus, l’accueil par la police ou la gendarmerie reste trop souvent une loterie. Petit état des lieux.

Moins d’une victime de violences sur six dépose plainte, rappelle le rapport de Femmes Solidaires concernant leur accueil dans les commissariats et les gendarmeries.

À la peur des représailles, à l’absence de soutien, au coût de la procédure, s’ajoute l’appréhension de se rendre dans un commissariat ou une gendarmerie. Même si les plaintes sont aujourd’hui davantage prises au sérieux, une vague nationale de témoignages déferle sur les réseaux sociaux. Des femmes y partagent leurs expériences, souvent désastreuses, derrière le mot clé #DoublePeine.

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Refus de prendre les plaintes, questions déplacées, (« au commissariat de Montpellier, on demande aux victimes de viol si elles ont joui » [[

Ce tweet d’Anna Toumazoff en septembre 2021 a été à l’origine d’une vague de témoignages accablants.

]]), remise en cause de la parole de la victime, minimisation des faits, défaitisme des fonctionnaires face aux chances de succès de la procédure… L’accueil reste aléatoire. Le manque de moyens et d’effectifs, la formation encore insuffisante des fonctionnaires sont des obstacles majeurs. Comprendre les mécanismes de l’emprise et des conséquences traumatiques, identifier les subtilités du « consentement » exige un travail approfondi qui demande à être grandement élargi.

A lire en complément de cet article, l’entretien avec Stéphanie, qui raconte son récent dépôt de plainte : « je n’aurais pas imaginé tant de bienveillance »

Dépôts de plainte : efforts et déceptions

Un travail important de formation a toutefois été réalisé par la MIPROF[[

Mission Interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains.

]]. Des référent·es violences et des psychologues ont été déployés dans les commissariats et gendarmeries. Une plateforme de signalement numérique a été mise en place en 2018 et des expérimentations sont en cours : la Maison des Femmes de Saint Denis accueille dans ses locaux des policier·es formé·es qui prennent les plaintes sur place. Et des expériences de recueil des plaintes à domicile sont lancées.

Pour éviter aux victimes d’avoir à annoncer à voix haute la raison de leur venue, des commissariats mettent en place un « tableau d’accueil confidentialité », ou « TAC ». À l’accueil, elles pointent une couleur, selon la nature de l’infraction, ce qui leur évite d’avoir à donner des détails et leur permet d’être reçues dans un espace confidentiel. Ce dispositif doit être progressivement généralisé à l’ensemble des commissariats.

Certes, comme le dit le collectif Nous toutes, à l’origine de l’enquête « Prends ma plainte », « Nous n’avons pas besoin d’expérimentations. Nous avons besoin que les forces de l’ordre connaissent la loi (qui prévoit obligation de prendre une plainte), l’appliquent et soient formées à ne pas mépriser ou humilier les femmes victimes de violences. »

L’issue des plaintes est un autre enjeu très problématique. Le taux de classement sans suite des plaintes avoisine aujourd’hui les 80 %, un chiffre particulièrement démotivant, et pour les fonctionnaires qui les recueillent, et pour les victimes.

En la matière, on a le sentiment que le combat n’est jamais tout à fait fini. Lorsque des choses s’améliorent, le système judiciaire, très patriarcal, ouvre toujours de nouvelles voies de résistance à une prise en compte judiciaire satisfaisante des violences sexuelles.

POUR Y VOIR PLUS CLAIR

Le dépôt de plainte est un droit. Il est indispensable pour obtenir l’ouverture d’un procès, obtenir réparation et faire condamner l’auteur de l’agression. Il est possible de déposer plainte directement par courrier auprès du procureur de la République.
La simple main courante, au contraire, n’induit ni enquête ni poursuites. Elle permet seulement de signaler des faits. Leur auteur n’en a pas connaissance.

Un dépôt de plainte doit être préparé. La plainte doit être la plus étayée possible afin de ne pas se solder par un classement sans suite. Les démarches judiciaires étant souvent longues et éprouvantes, un accompagnement associatif, et donc un soutien juridique et psychologique, sont très utiles.
116 006 – Numéro d’aide aux victimes – Appel gratuit, 7 jours sur 7 de 9h à 19h – victimes@france-victimes.fr. Des bureaux d’aide aux victimes existent dans les Palais de justice.

Vous pouvez aussi faire appel à un avocat si vous souhaitez faire une action en justice.
Des sites Internet :
parcours-victimes.fr vous guide à chaque étape.
arretonslesviolences.gouv.fr propose entre autres un document : Comment-se-passe-le-depot-de-plainte-d-une-victime-de-violences-sexuelles-ou-sexistes.

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.