Nous connaissons Maïté Lønne. Elle était au nombre des survivantes, ces femmes courageuses qui, le 23 novembre 2018, à Paris, ont pris la parole à visage découvert pour dénoncer les violences prostitutionnelles et les conjuguer avec le mouvement #Metoo. Et elle est de toutes les luttes : violences faites aux femmes, droits des détenus, justice des mineur·es… Avec une énergie renver-sante. Elle a même, un temps, fait ses armes de comédienne au Cours Florent.
Bruxelloise, Maïté s’adresse ici aux autorités judiciaires belges et au service d’aide à la jeunesse. Mais son plaidoyer, particulièrement douloureux, porte au-delà des frontières. D’abord parce qu’il s’agit de son histoire, une histoire dont on a peine à imaginer qu’elle a pu en vivre tous les incroyables épisodes à seulement 28 ans. Ensuite parce que le sort réservé aux enfants maltraités par les institutions mérite d’être au minimum questionné ; au pire, repensé de A à Z.
Maïté a donc été une petite fille qui se cachait sous les meubles et ne trouvait de réconfort qu’auprès d’autres «moutons noirs». Faut-il égrener les moments clé qui l’ont poussée dans l’anéantissement avant qu’elle trouve la force d’en sortir ? À 10 ans, le viol par inceste par un cousin et par le compagnon de sa mère l’amène à se lacérer le corps avec un cutter. Tentatives de suicide, hôpital psychiatrique avec camisole chimique, anorexie… Face à ce jeune animal traqué, aucune bienveillance. « Brebis galeuse », elle connaît ses premières défonces à 13 ans ; le foyer, la cour des mineurs… Puis c’est la coke, la rue, les bagarres, les violences, la mort si proche. D’autres viols. Le crack, l’alcool. Plus tard, la fausse couche, la maladie et le risque d’amputation. Pas de limites à l’enfer sur terre.
Maïté décrit «dix années d’autodestruction, dont huit de poisons chimiques ». Elle se souvient du violeur qui lui a jeté «une liasse de billets au visage». Une façon symbolique d’acheter son silence, comme elle le comprendra plus tard quand elle sera prostituée. Elle évoque longuement le pervers narcissique qui se fait passer sur Internet pour une certaine Héléna, pour mieux appâter ses victimes[1], de toutes jeunes filles entre 15 et 20 ans. On retrouvera 300 noms dans la liste de celui que la presse surnommera «le proxénète de Facebook», finalement objet, en 2014, de la première condamnation pour cybercriminalité et traite des êtres humains en Belgique.
Une femme engagée
Maïté décrit la honte, la culpabilité, la peur de la justice, mais aussi l’anesthésie émotionnelle. Mais le récit de son parcours personnel est indissociable de celui de son engagement en tant qu’éducatrice spécialisée. L’ex-enfant placée connaît mieux que personne les deux côtés de la barrière. La réprimande, le coercitif, elle en a vécu les dégâts dans son propre corps, dans sa propre tête. Aujourd’hui, elle peut donc être fière d’accompagner des ados devant la magistrate qui l’a jugée elle-même au temps de sa propre déroute.
Donc, elle agit, elle dénonce, elle témoigne. Dans les universités comme au Parlement européen. «Nos prisons regorgent d’anciens mômes maltraités et nos rues de prédateurs aguerris », répète-t-elle sans relâche. Elle le crie : la violence de ces jeunes n’est jamais gratuite. Elle ne fait que répondre à tous ceux qui les ont abusés, brutalisés, empêchés de vivre. Son credo : apprendre à détecter les violences physiques, psychologiques, sexuelles, mais aussi l’exposition à la violence familiale. Sans quoi aucune restauration ne sera possible. Maïté sait de quoi elle parle, elle qui pose au l des pages la question de la légitimité et de la pertinence des réponses institutionnelles. Réponses qui, on s’en doute, sont loin d’être à la hauteur des besoins…
[1] Un subterfuge qui semble se répandre, voir notre prochain témoignage dans Prostitution et Société n° 205…