Melissa est venue en France suite à son mariage. Après sa séparation, elle a subi la prostitution via les sites d’annonces. Aujourd’hui en parcours de sortie, elle revit.
En Côte d’Ivoire, je ne connaissais pas la prostitution. Je vivais ma vie normale comme toutes les jeunes filles. J’avais un petit commerce. Je partais chercher le poisson frais au port et je le donnais à des revendeurs, je prenais mon argent et je repartais au port de pêche. C’est un homme qui m’a fait venir en France, je me suis mariée avec lui. Et puis on a eu beaucoup de soucis on s’est séparés.
Dans mon enfance, je suis allée à l’école mais ce n’était pas facile pour moi. J’avais une famille aimante, qui s’occupait de nous. Mon père était tout pour nous. Je suis l’aînée de cinq, deux frères et trois sœurs. On voyait d’autres élèves qui n’avaient rien pour manger, s’habiller, pas de cahier. Mon père nous achetait tout, pour la rentrée scolaire on avait toujours un cartable, les fournitures, on avait un bon petit déjeuner, on mangeait à notre faim.
Et puis mon père est décédé en 2004 après une longue maladie. Mes frères ont abandonné l’école, ma mère avait juste de quoi nous donner à manger. Elle n’a pas supporté le départ de papa. Deux ans après, elle est décédée. Lorsqu’elle a rendu l’âme j’étais à son chevet à Abidjan, la capitale.
Mariés le 7 mars 2013
Après 2006, j’avais toute la responsabilité. J’étais le père et la mère de mes frères et sœurs. Dans ma tête je voulais voyager en Europe pour le travail et m’occuper de ma famille. J’ai rencontré mon mari dans un supermarché. Un homme qui m’a aimée et a décidé que j’allais vivre en France avec lui. Il est Ivoirien et vivait déjà en France, naturalisé. On s’est mariés le 7 mars 2013 et après je suis venue en France. Cela n’a pas marché entre nous.
Il était agressif, violent verbalement, il m’insultait. On s’est séparés. Je suis restée là je ne savais pas quoi faire. Je travaillais au noir, pour 250, 300 euros par mois. A la préfecture pour le renouvellement de mon titre de séjour au bout d’un an, il fallait que le mari soit là, amène les pièces originales. Il n’a jamais accepté de venir.
Dans ma tête je voulais un mari et vivre tranquille. Alors je suis allée sur Badou (site de rencontre) pour rencontrer un homme. À l’époque je dormais sur le canapé des copines à gauche à droite. C’est comme ça que j’ai rencontré S., un jeune Français qui m’a dit que sur Badou « il n’y aura pas un homme qui te prend au sérieux, ils cherchent juste une fille pour coucher ; je connais un site, vas sur Vivastreet, là bas tu vas rencontrer des hommes qui vont coucher avec toi et vont te donner 150 euros pour une heure ». D’abord je me suis dit que je ne pourrais pas.
Et puis il m’a parlé – tout ça par message- d’une amie de Haute-Savoie qui a pris une chambre très chère à Lyon et qui cherchait une fille pour travailler avec elle ; comme ça les deux peuvent partager le loyer. Il a cherché à me rassurer.
On s’est rencontrés une fois après mon boulot et il m’a accompagnée chez la fille. Elle venait d’Haïti, était plus âgée que moi. Je suis rentrée dans une chambre, elle avait tout, des objets de massage, des godes ceintures, tout, déposé là. D’un coup elle m’a donné un soutien gorge qui fait bomber les seins. S. m’a dit de m’assoir comme ça en écartant les jambes et il m’a pris en photo. Pour l’annonce. D’abord il m’a mis sur un site gratuit. J’étais d’accord.
Il m’avait dit qu’on pouvait gagner 4 000 euros par mois.
J’avais pas de papiers, pourquoi ne pas le faire ? Mais je n’étais pas bien moralement. La Haïtienne m’a tout expliqué. Que le client doit te donner l’argent avant que tu commences toutes ces « prestations » avec lui sinon il va pas te payer, etc..
Le même jour, j’ai fait mon premier client à Perrache, pas loin de la gare. Il m’a donné 50 euros. Quand je suis sortie j’ai dit wow je viens de vendre mon corps pour de l’argent. C’est une chose que je n’avais jamais imaginée.
Après deux, trois clients, S. est venu prendre l’argent et m’acheter une carte prépayée, pour mettre mon argent dessus et m’inscrire sur Vivastreet. C’était 80 euros. La fille de la chambre est ensuite partie chez elle en Haute-Savoie et m’a laissée dans l’appartement pendant une semaine. J’étais toute seule comme ça à recevoir des hommes. C’est S. qui prenait l’argent et m’achetait des trucs. Il m’a dit que je dois payer 400 euros par semaine pour la chambre.
Aussi, il a abusé de moi. Il venait, voulait que je lui fasse un massage et couchait avec moi. Il avait envie, il disait « ça va, t’as des clients ». J’avais pas le choix.
Je savais pas que c’était comme ça que faisaient les proxénètes. Il savait que j’avais pas de papiers alors c’était que des chantages. Il me disait que la police allait venir. Moi j’avais peur de tout.
Les clients venaient jour et nuit. Comme j’avais mon annonce, les hommes appelaient et je leur donnais l’adresse. J’étais seule et c’était des gros risques. Quelqu’un pouvait me faire du mal, personne ne savait où j’étais (à part le proxénète, NDLR). Le matin, je sortais vite fait faire deux, trois courses, mais pas longtemps. Beaucoup venaient l’après midi à l’heure de leur pause. Il faut être toujours prête.
La nuit, des fois à 2, 3, 4 heures du matin, même quand tu te couches, ton téléphone sonne. S’ils ont envie de sexe ils veulent venir maintenant tout de suite. J’étais obligée d’accepter pour payer le loyer donc à n’importe quelle heure tu dois recevoir les clients. S, il vient, il prend les 400 euros il couche avec toi et part avec une partie de l’argent.
Je savais comment gagner de l’argent
Après il a dit à la fille qu’elle se débarrasse de moi. Elle m’a dit « tu te démerdes ».
J’ai du partir chez une amie en banlieue. Je me déplaçais pour aller chez des gens à domicile à l’hôtel. S. cherchait des chambres pour moi mais il n’était plus là tous les jours. A un moment il m’a dit de venir travailler chez lui que je pourrais lui donner de l’argent chaque semaine mais je n’ai pas accepté. Après il était plus trop derrière moi.
Je savais comment gagner de l’argent. Je mettais mon annonce sur Vivastreet et je me déplaçais. Ce n’est pas vraiment facile. Parce que souvent quand tu vas chez les gens ou à l’hôtel, c’est pas les bonnes adresses. Il neige, il pleut, il fait froid, t’es obligée de sortir quand même. Arrivée la bas il est pas là, ou il décroche pas. Si tu as pris un taxi pour venir tu sors perdante. Souvent à 1h du matin, une personne t’appelle pour 500 euros, tu prends le taxi, arrivé la bas personne. Souvent t’as pas d’argent sur toi alors le taxi il en profite, il a vu que tu étais prostitutée. Il te dit de payer en nature… Ça m’est arrivé deux fois.
Un jour j’ai pris un appartement à Villeurbanne. Il y avait un petit salon de coiffure, les gens ont vu qu’il y avait plein de personnes qui montaient la journée et la nuit par le petit escalier en bois. Ils ont écrit « il y a une escort qui habite en dessous ». C’est une amie qui était venue m’apporter à manger en rentrant qui l’a vu en rentrant dans l’immeuble. Tout le monde savait. J’ai du partir, j’avais peur que la police vienne.
Je suis allée chez mon amie. Je sortais à l’appel des clients. Puis j’ai rencontré un client qui vivait seul, qui m’a dit que je pouvais vivre chez lui, être libre de faire mon travail comme je veux ça ne le dérange pas… des fois il m’accompagnait quand j’allais voir des clients, et c’est moi qui payais l’essence. Il ne me demandait pas d’argent pour m’héberger mais du sexe. Souvent quand il m’accompagnait il voulait que je paie l’essence « en nature ». J’avais pas le choix.
Un jour je suis allée chez une amie à Bourg et j’ai travaillé avec elle. J’ai rencontré des gens là-bas, aux alentours, des petits villages, des blancs qui quittent la campagne, qui viennent en ville, ils t’appellent, ils ont envie de sexe…
Je ne rencontrais personne en dehors de la prostitution. Quand il y avait un anniversaire chez des amis, je n’y allais pas, j’avais peur d’être appelée, de perdre des clients. Chacun parlait de son travail, des collègues, et moi je me trouvais hors de tout ça. J’aurais voulu faire comme eux, avoir un salaire tranquille. Mais pour avoir de l’argent à envoyer à mes petites sœurs, j’étais obligée de me prostituer. J‘avais pas le choix.
Quand je voyais les autres femmes, quand je me voyais à l’intérieur de moi, je me trouvais très différente, toujours sale. Des hommes que dans la vraie vie tu voudrais même pas approcher, parce qu’ils te donnent de l’argent tu es obligée. Tu te dis que tu t’en fous, mais au fond de toi c’est pas facile.
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Je faisais tout pour ne pas être tabassée
Les clients, il y en a eu des violents, pas beaucoup, mais je faisais tout mon possible pour ne pas être tabassée; pour que les voisins n’entendent pas Si on commence la bagarre et que la police vient peut être que c’est moi qui serai dans la merde.
Beaucoup d’hommes se demandaient pourquoi j’étais là. Beaucoup. Ils disaient « on voit que tu n’es pas vraiment une professionnelle parce que ce métier tu le fais vraiment pour de l’argent mais tu n’as pas commencé ça très tôt c’est la situation qui fait que tu es rentrée dedans ». Parce que je les mettais pas à la porte au bout d’une heure, je m’asseyais avec eux, je leur offrais à boire, on parlait de tout. Il y a des hommes qui venaient pas forcément pour le rapport sexuel mais pour passer du temps avec toi . C’est ce qu’ils disaient.
Je faisais semblant bien sûr, on fait semblant de leur dire qu’on les aime, mais au fond ce n’est pas ça.
Je n’ai jamais bu de l’alcool ni fumé. Au début, quand je devais payer mon hébergement, je pouvais pas dormir. J »avais vraiment une pression sur moi. Quand t’as pas l’argent, l’angoisse est là.
Quand j’étais plus indépendante, j’avais moins de stress. C’était un peu moins mal… mais pas vraiment mieux. Quand quelqu’un t’appelle, toutes les questions qui viennent : est-ce que c’est une vraie adresse, une bonne personne, est-ce qu’il va pas me planter ? J’avais peur des gens qui t’insultent, quand des clients te disent « c’est pas toi qu’on a vu sur la photo », « C’est pas toi que je voulais sale pute ». Ils t’insultent pour rien. Moi j’avais peur de leur répondre. Quand c’est comme ça je coupais le téléphone.
Quand ils ont fermé Vivastreet, j’ai dit « je m’arrête là »
Au total cela a duré trois ans. Moralement, ça fatigue trop et quand ils ont fermé Vivastreet, j’ai dit je m’arrête là.
J’ai dit à des connaissances que je voulais travailler, des petits boulots au noir pour gagner un peu de sous. J’ai cherché par le bouche à oreille pour des gardes d’enfants. Après, j’ai mis mon annonce sur Vivastreet pour faire femme de ménage. De temps en temps des clients qui me connaissaient me m’appelaient, « pas pour le ménage ». Je le faisais toujours, mais beaucoup moins qu’avant.
Je recevais les « clients » qui avaient gardé mon contact. Ils venaient me voir pour passer la soirée ensemble. Il y en a qui me proposaient juste de sortir, aller au restaurant puis faire le sexe ; comme copain copine. Gratuit. J’ai dit non, vous m’avez connue comme prostituée vous allez jamais m’épouser, dans votre tête je serai toujours une prostituée. Je leur disais, si tu m’aimes vraiment tu m’amènes à la mairie. Mais tu peux pas venir et juste un resto et une chambre d’hôtel sans rien me donner.
J’ai décidé de tout arrêter. J’ai bloqué le numéro, je suis définitivement passée à autre chose. Quand ils ont fermé Vivastreet, J’ai commencé à chercher à m’intégrer. Je suis allée voir une assistante sociale et je lui ai parlé de la prostitution.
L’assistante sociale m’a parlé de l’Amicale du Nid. J’y suis allée, mais comme il y avait trop de demandes, elles m’ont envoyée vers le Mouvement du Nid. Ici j’ai trouvé Désirée, qui s’est occupé de mon dossier, puis Océane. C’est Océane qui m’a expliqué que j’étais victime. Au Mouvement du Nid, elles m’ont dit nous sommes là pour vous aider. Avant j’avais peur de la police. C’est S. qui avait mis ça dans ma tête. Il me disait toujours que je me ferais arrêter.
Passer à autre chose
Je leur ai dit que je voulais arrêter vraiment la prostitution, passer à autre chose de la vie. Je veux travailler comme les autres femmes et faire ma vie tranquille. Aujourd’hui la prostitution, même à mon pire ennemi, je ne la conseille pas. Non, les filles qui viennent du pays, je leur dirais jamais de se prostituer. La prostitution c’est n’importe quoi.
Avec le parcours de sortie aujourd’hui, ça va. J’appelle les boites d’intérim, j’envoie mes CV, on me propose des formations, je vais m’inscrire à Pôle emploi. Moralement je suis bien. Les portes s’ouvrent à moi. J’ai rencontré des compatriotes qui m’ont dit « tu as changé tu rayonnes, moralement tu es bien ». Je ne suis plus angoissée, je sais que je peux travailler faire plein de choses, faire ma demande de maison, etc.
Quand je me prostituais je m’en foutais un peu de tout. Je buvais pas, je prenais pas la drogue mais je m’en foutais de la vie. « Si je meurs, c’est que c’est mon destin ».
Y a plein de filles qui ont été tuées. Souvent c’est les proxénètes derrière ça. La fille de Haute-Savoie, elle avait plein de choses pour se protéger car elle était beaucoup agressée par des jeunes de son quartier pour lui prendre son argent.
Je me suis prostituée c’est vrai. Mais c’est pas une vie. Tu as de l’argent mais au fond c’est de la souffrance, t’es obligée de tout accepter. Si jusqu’à 17h, j’avais pas eu de client, si y a quelqu’un qui me propose 200 euros pour éjaculer sur mon visage, je me dis c’est pas grave je vais me laver le visage. Si je le dis à personne, personne ne saura, je m’en fous.
C’est pas vraiment un métier. Après le récépissé, j’ai pu avoir une carte bancaire pour la première fois depuis que j’étais en France. Je suis allée à la poste, j’ai ma carte à mon nom, je peux faire des choses. C’est la vie quoi, je suis en France, je vis.
Quand t’es courageuse, tu peux y arriver. Je connais une fille qui gagne 3000 euros parce qu’elle bosse dur auprès des personnes âgées. Tu peux être dans la prostitution et même pas avoir ça. Il y a des mois tu peux ne même pas gagner 2000 euros les semaines ça passe vite. Tu peux mettre ton annonce le lundi tu peux avoir 2 clients en une semaine. Aujourd’hui ça paie pas. Elles se fatiguent pour rien.
Je suis fière de moi même.
Quand je suis venue au Mouvement du Nid à Paris, il y avait une dame, Rosen, qui avait été dans la prostitution, et ses petits-enfants savaient. En entendant son histoire, je me suis dit qu’il y a des femmes avant nous qui l’ont fait et qui sont là aujourd’hui. Et je me suis sentie encore mieux.
Etre prostituée, c’est pas la fin du monde. Je ne suis pas la seule. Et en donnant mon témoignage, pour des femmes qui viennent après nous, on peut leur dire : oui, on peut être prostituée et puis un jour avoir une vie tranquille, normale, comme toutes les femmes.
Je suis allée à un atelier à l’hôpital Herriot. Dans leur cahier on nous demandait de cocher des cases. « Je me sens forte », « c’est du passé » ; J’ai coché tout ça. Pour moi aujourd’hui c’est du passé. Depuis que je suis venue ici, et depuis le PSP, ça fait un bon moment quand j’entends le mot prostituée je me dis « ça va ». Avant, ça me faisait toujours un truc. Quand j’entendais à la radio, dans les transports le mot prostitution, je me retrouvais toujours dedans, les souvenirs qui revenaient. Ça arrive encore, mais ces derniers temps ça va.
Je veux faire une formation mais pour le moment je veux d’abord travailler. J’ai envie de travailler auprès des personnes âgées, soit à domicile soit dans une maison de retraite.
Noël en famille
A Noël, j’ai fêté, c’était bien. Avec ma famille, des amis, moralement j’étais bien. On m’a dit que je brillais, que j’avais changé. Ma soeur est venue en France depuis deux ans. Elle a trouvé un copain et fait sa vie avec lui. C’e’st la seule à qui je l’ai dit quand elle était au pays ; car elle savait que je n’avais plus de papier se demandait comment je les aidais. Je lui ai dit que je me prostituais. En arrivant en France elle a parlé de le faire aussi et je lui ai dit je te conseille pas. Aujourd’hui, elle a une fille qui a un an.
Quand je faisais ça, j’avais pas peur de la mort. C’est la vie, la difficulté de la France qui m’a mis sur cette voie de prostitution. Je me disais… J’ai perdu mes deux parents, je m’en foutais si je mourais. J’étais triste. J’allais chez les hommes mais je m’en foutais, je me trouvais différente des autres. Aujourd’hui j’ai retrouvé la joie de vivre et quand je me couche je me dis : ah la vie peut être belle comme ça !
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