Après dix ans dans le « brouillard », Roselyne a raccroché. Depuis, elle a pris 20 kilos. Deux par année de brouillard sur le trottoir lillois. Avec ses mèches blondes toujours dans les yeux, cette jeune mère de deux enfants raconte sans haine comment elle a commencé à tapiner, à 18 ans, dans un bar de La Madeleine, dans la banlieue lilloise.
Au sortir de l’adolescence, la jeune fille portait déjà un trop lourd fardeau : elle a subi les « touchers réguliers » de deux de ses frères. Alors, « faire ça pour de l’argent, c’était pareil. »
Un soir, en 1984, un cafetier lui propose de travailler dans un bar. Un de ces établissements qui fleurissent alors dans le Nord, où on peut consommer du champagne et avoir une fille : « La première fois, j’ai dù monter avec un client sans préservatif. Ça m’a horrifiée. Je suis restée sous la douche pendant une heure », raconte Roselyne, qui se souvient avec effroi de ce « bordel » : « Le patron ne voulait pas me lâcher. Je ne pouvais sortir qu’accompagnée par la serveuse. »
Son amant l’a aidée à s’enfuir au bout d’un mois et demi d’enfer. Mais ce nouvel « ami » la remet vite au travail dans un bar-vitrine en Belgique, puis sur le trottoir lillois. L’homme, marié, père de quatre enfants, lui prend la moitié de ses recettes. « C’était le genre proxo moderne », assure Roselyne, qui, au début, ne prenait pas beaucoup de clients parce qu’elle avait peur. Puis, avec l’aide de son souteneur, elle change de quartier, et s’installe dans le vieux Lille. « Je me suis fait respecter en frappant les filles. Quand une nouvelle arrivait, je la séquestrais dans mon coffre. Les autres me craignaient et je gagnais beaucoup d’argent » : 3000 à 4000 francs pour la demi-journée, et une vie où « on se sent sale ».
Dix ans de rue ont laissé des traces. A 36 ans, Roselyne avoue que le regard des autres est souvent dur : « On n’en sort jamais vraiment. » Ses relations amoureuses en sont encore altérées : son compagnon lui « rebalance » son passé à chaque dispute. Malgré tout, « ça vaut le coup de sortir de la rue, parce que c’est insupportable. »
Le débat sur l’ouverture de maisons closes la fait bondir.
« Ce serait laisser la porte ouvert à toutes les saloperies et les trafics. On laisse les filles enfermées physiquement et psychologiquement : elles ont encore moins de contact avec le monde extérieur, les associations », assure l’ancienne professionnelle. « Sur le trottoir, c’est toi qui choisis tes clients. Pas dans les bordels, où le client paye et fait ce qu’il veut. Dans le bar où j’ai travaillé en Belgique, j’ai vu des copines massacrées alors que le client était sorti depuis longtemps », explique Roselyne.
Elle dit aussi comprendre les riverains, l’envie de se promener avec ses enfants tranquillement. Mais elle refuse les solutions proposées de délimiter une zone pour la prostitution. « Voir cette misère en pleine ville, c’est aussi une sorte de prévention : ça réduirait les rêves de gamines qui pensent gagner des fortunes facilement. Si j’avais vu dans quelles conditions travaillent les prostituées, j’aurais peut-être compris la violence du trottoir… »