Roxane : « je vais mieux, mais l’après, c’est compliqué » !

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Fin 2020, nous publiions le témoignage de Roxane, « j’ai tout arrêté sauf la parole et l’écriture ». Victime d’un mari violent puis d’un conjoint proxénète, elle a depuis fait beaucoup de chemin. Malgré les obstacles persistants.  

J’ai quitté la région en laissant tout et je suis partie à 800 km. Il a fallu repartir de zéro, trouver un logement, racheter des meubles ; heureusement, je me suis installée pas loin de chez mes parents et ils m’ont bien aidée. A 40 ans, je me retrouve seule, à la campagne, dans une région inconnue. J’ai ma famille mais je ne connais personne.

Je vais beaucoup mieux, ainsi que mes enfants. On a une meilleure vie. Avec le suivi social, je touche 839 euros de la CAF en tant que mère isolée, plus les APL, et je vais aux Restos du Coeur. J’ai 200 euros de frais, je m’en sors. Mes factures sont payées en temps et en heure. Ici, la vie n’est pas chère et mes parents me donnent un coup de main de temps en temps.

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Les confinements ont rendu tout encore plus compliqué : le permis de conduire par exemple est resté en stand by. J’ai fait 43 heures avec une auto-école solidaire et je l’ai raté une fois. Il faut absolument que je puisse me réinscrire ici mais je ne connais pas du tout la région ni les routes. Je vais pouvoir avoir un permis supervisé, en roulant 1000 km avec mon père. C’est encore une heure à payer, 45 €, et l’inscription à l’examen 75 €.

Roxane : 21 plaintes classées sans suite

Le père de mes enfants est incarcéré pour violences conjugales sur sa compagne qu’il a tenté d’étrangler. Il a été condamné à 18 mois (pas grand-chose franchement, je suis écoeurée) pour violences aggravées avec prise d’alcool et de stupéfiants. Au temps où je vivais avec lui, j’avais fait 17 mains courantes et déposé 21 plaintes. Toutes classées sans suite. Il avait juste été condamné à 600 euros. Quand j’avais parlé de ses violences à la PMI, on m’avait fait comprendre que c’était dans ma tête. Pourtant, ce n’était pas tout, il avait aussi des déviances sexuelles et il postait des photos bizarres sur des sites.

Aujourd’hui, c’est sa compagne qui aura droit à une protection pour leur fils. Mais les miens, est-ce qu’on va les protéger ? Pourtant, c’est moi qui ai fait le gros du travail avec mes plaintes et tout ce que j’ai récolté, c’est qu’on m’a mis des enquêtes de PMI (protection maternelle et infantile).

Evidemment, il ne verse pas la pension alimentaire. Je me suis battue, pourtant. J’ai déposé plainte en décembre 2020, comme c’est légal, au bout de deux mois d’impayés. Mais la procédure de recouvrement est compliquée, c’est long et ‘prise de tête’. Et ce n’est pas pour autant qu’on obtient un résultat. La CAF me réclame des papiers que je ne peux pas fournir parce que, contrairement à sa compagne actuelle, je n’ai pas accès à son dossier.

Pour l’instant, je bénéficie toujours d’un suivi social par le CIDFF (centre d’information droits des femmes et familles). Enfin, surtout mes enfants. Ils ont un soutien psychologique que je trouve très bien : ils se retrouvent en groupe, pour des activités, des jeux, des goûters, c’est informel, ils parlent entre eux, ils ont moins de mal à se livrer. Et ils se font de nouveaux copains.

Par rapport à leur père, le grand a fait son deuil. Il a lui-même subi des violences, il a bien compris. Mais le petit ne m’a pas connue avec cet homme, c’est plus difficile pour lui d’accepter. Moi, je ne leur ai jamais rien caché. Ils savent pourquoi il est en prison. Enfin, je parle des violences du père, pas de ma période de prostitution à cause de l’autre, celui que j’appelle « mon pervers » (un conjoint proxénète, qui n’est pas le père, NDLR) ; là ils ne sont pas au courant.

A qui en parler ? Est-ce que je porte plainte ?

Le gros problème est toujours le même. Ce que j’ai traversé, à qui en parler ? En général, je dis que « j’ai vécu des choses graves ». L’un de mes besoins essentiels aujourd’hui, c’est une aide psychologique : pouvoir tout déballer. J’ai la CMU (couverture maladie universelle) mais il n’y a pas de prise en charge pour un accompagnement psy. Il faut donc payer les déplacements et le coût des séances. En plus, sans permis…

Heureusement, ma mère est au courant ; avec elle je peux en parler et avec deux amies d’avant avec qui j’ai renoué et à qui j’ai trouvé la force de le dire. Je pourrais aller au CMP (centre médico-psychologique) par exemple. Mais franchement, je ne me vois pas raconter tout ça à un toubib que je ne connais pas. Et puis j’ai peur qu’on m’enlève mes enfants. Il faudrait vraiment une aide à ce niveau, et surtout que les psys soient formés pour ne pas poser sur nous de jugement ou de regard mal placé.

J’ai une avocate pour les violences du papa, j’hésite à lui parler de ce que j’ai subi avec le pervers. Si je parle de la prostitution, il faudra que je fournisse des preuves. Comme mon téléphone est tombé en panne, j’ai perdu des tas de messages de cette époque là. Est-ce que je serai reconnue comme victime ? Je ne sais pas quoi faire. Attendre que mes enfants aient 18 ans ? Si je porte plainte, je sors de l’anonymat. Mes enfants, mon père, tout le monde va être au courant. La famille… on va me juger.

Je voudrais vraiment porter plainte mais est-ce que j’ai encore du temps, quels sont les délais ? J’ai besoin d’aide pour peser le pour et le contre. Jusqu’ici, je n’ai jamais engagé de démarches, j’avais trop peur qu’on me retire mes enfants. J’ai adhéré au comité de soutien de Valérie Bacot. J’aimerais pouvoir lui parler, lui demander comment elle s’y est prise pour qu’on ne lui enlève pas ses enfants. C’est bien, en tout cas, que son affaire ait pu faire réfléchir sur le proxénétisme conjugal, dont on ne parle jamais.

Toutes ces démarches coûtent cher, en plus. Il y a bien l’aide juridictionnelle, mais moi qui ai deux affaires, je n’y ai droit que pour une. Est-ce que ça vaut la peine que je m’engage dans tous ces frais ?

Récemment, j’ai quand même fait un grand pas. J’ai appelé un psychologue. J’ai été soulagée par sa réaction quand j’ai sous-entendu ce que j’avais vécu. Il m’a dit « vous n’avez pas fait la guerre, vous n’êtes pas victime de terrorisme, alors j’imagine de quoi il s’agit. » J’ai pris un premier rendez-vous. 50 euros la séance. Une fois par mois. C’est un coût. Mais j’en ai vraiment besoin.

Je fais toujours des cauchemars

Parce que « l’après », c’est compliqué. Il y a plein de choses positives, je vais beaucoup mieux, mais il y a aussi les choses difficiles. Et je fais toujours des cauchemars.

Aujourd’hui, un simple verre d’alcool, je ne peux plus le boire. Ca me fait toujours penser à « ça ». J’ai tout de suite l’impression que je vais repasser à la casserole juste après. Parce que, pendant la prostitution, j’avais un besoin terrible d’alcool et de drogue. Vraiment, la prostitution, c’est dégueulasse, on se sent tellement salie. Toutes leurs histoires de travail du sexe, franchement ! Il faut appeler un chat un chat. On est pute et ce n’est ni un métier, ni une envie, ni une passion, ni un choix !

Depuis cette histoire, mon corps s’est mis en mode défense. J’ai pris 20 kilos. Je rejette tout ce qui me rappelle la séduction, tout ce qui était fait pour qu’avec les clients, ça aille plus vite. Je ne peux plus me maquiller. Il m’arrive d’essayer, j’enlève tout au bout de dix minutes. Je laisse mes cheveux blancs, je ne porte plus de talons et je mets des couleurs neutres. J’ai juste remis des boucles d’oreilles et des bagues. La lingerie, je l’ai jetée à la poubelle quand j’ai arrêté. Fini les strings. A la piscine, je mets un maillot une pièce style années 70.

J’ai à faire le deuil de cette histoire. Depuis cette période, je sens que ma vie n’est plus la même. Je suis plus triste. Plus méfiante. Ca m’a durci le caractère, je suis capable de donner des baffes.

Les hommes, certains me répugnent

Dans mon village, des voisins ont fichu le bazar une nuit. C’était très alcoolisé, avec du shit. J’ai appelé les gendarmes, évidemment ça n’a pas plu. Un type m’a menacée et m’a traitée de « sale pute ». Je lui ai donné un coup de pied. Les gens ne peuvent pas comprendre pourquoi j’explose de la sorte, ils doivent me prendre pour une folle. Je suis agressive avec les hommes.

Par dessus le marché, quand j’ai porté plainte à cause des menaces, je suis tombée sur un gendarme à qui j’ai dit que j’avais déjà subi des violences conjugales. Il m’a dit « si les femmes prennent des coups, c’est qu’elles les cherchent. » J’ai fait un courrier à l’IGPN (Inspection générale de la Police Nationale). Je ne veux pas imaginer ce qui se passerait si ce type devait intervenir dans une situation de violences conjugales.

Malgré tout, j’aimerais bien rencontrer quelqu’un. J’ai fait une rencontre mais j’ai vite senti les problèmes. Il était bipolaire et j’ai tout arrêté. Je ne me laisse plus embarquer dans des relations si je sens que quelque chose cloche. On me dit « inscris-toi sur des sites ». Je n’en ai aucune envie. Ce n’est pas la peur, c’est le dégoût. Le dégoût des hommes. Il y en a dont le physique me répugne. Parmi les hommes, je ne respecte plus que mon père.

Mes enfants grandissent, mon grand va avoir 11 ans. Je lui explique ce qu’est la puberté, et plus tard je lui parlerai de la pornographie. Je veux être claire avec eux sur la sexualité. Et les protéger par rapport aux réseaux sociaux. On y lit des horreurs. Sur Valérie Bacot, qui a tué son bourreau justement après avoir subi un ‘client’ super agressif, je tombe sur des choses comme « elle n’avait qu’à pas y aller, elle n’avait qu’à pas se laisser faire… » Les gens ne savent pas ce que c’est qu’un manipulateur. Et à quel point on n’a pas le choix.

Aujourd’hui, j’aurais besoin d’un accompagnement psychologique mais aussi juridique. Je n’ai pas été reconnue comme victime en tant que prostituée, puisque je n’en ai parlé à personne. J’aurais vraiment besoin qu’on m’épaule.

L’emploi, si je n’avais pas deux enfants en bas âge, et si leur père n’était pas incarcéré, ce ne serait pas un problème. Je trouverais toujours. Mais pour le moment, comment faire  ? Il faudrait que je les fasse garder toute la journée. Mon rêve, ce serait de faire un stage au CIDFF, je voudrais travailler dans le domaine des droits des femmes : apporter mon aide à celles qui sont victimes de violences conjugales ou de prostitution.

Relire la première partie du témoignage de Roxane

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Claudine Legardinier
Journaliste indépendante, ancienne membre de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes, elle recueille depuis des années des témoignages de personnes prostituées. Elle a publié plusieurs livres, notamment Prostitution, une guerre contre les femmes (Syllepse, 2015) et en collaboration avec le sociologue Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution, l’enquête (Presses de la Renaissance, 2006). Autrice de nombreux articles, elle a collaboré au Dictionnaire Critique du Féminisme et au Livre noir de la condition des femmes.