Florence Jacquet : « le féminisme est abolitionniste ! » (1/3)

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Florence Jacquet nous a écrit, se présentant comme survivante de la prostitution, pour nous soumettre le texte ci-dessous. Femme trans, elle milite pour l’abolition du système prostitueur et en faveur des droits LGBT sur les réseaux sociaux.  Nous avons décidé de le publier en trois parties.

Dans la première partie que nous publions cette semaine, Florence Jacquet explique pourquoi elle pense que la prostitution est un système de violences et non un choix.

« Asservies, humiliées, les femmes, Levons-nous femmes esclaves. Et brisons nos entraves. Debout, debout, debout ! » Extrait de  l’Hymne des femmes 

Violée, agressée, laissée pour morte, volée, insultée, menacée de mort, ayant échappé de peu au sida, et autres… Ainsi que de justesse à des réseaux de proxénétisme russes, albanais, et maison d’abattage à Zurich, je suis une survivante.
Une vie rock’n roll.
Je parle, je ne suis pas une repentie. Je fais partie de ce que l’on appelle l’ »ancienne garde ». J’ai toujours eu un regard froid (prudent, non idéaliste) sur ce milieu. Juste réaliste.

Annonce

Lorsque l’on entre dans la prostitution, que l’on franchit le pas, c’est un rendez-vous avec l’inconnu. Le milieu de la prostitution est violent. Agressions, viols, rackets, meurtres, proxénétisme…. traite d’êtres humains et trafics en tout genre sont omniprésents. Beaucoup de prostituées boivent et/ou se droguent pour tenir.

« En très peu de temps, votre seul contact humain devient les hommes qui vous achètent et les autres femmes qui se tiennent à vos côtés. Vous commencez à voir le monde d’une manière très différente. Puis survient l’inévitable, le viol ou l’agression sexuelle. » Mia de Faoite (survivante)

Dans ce système nous vivons en cercle fermé. Une sorte de soutien, avec des rires, des pleurs, de la tristesse, de la solitude, de l’artifice, du superflu, de la compétition, de l’hypocrisie, de tout. Milieu glauque, voire pitoyable.

La peur est omniprésente.

Peur pas forcément pour soi-même, mais pour les autres. Des « amitiés » se créent, et l’on à le cœur et l’estomac qui se serrent pour certaines chaque jour. Parfois on a tellement envie de les chérir. Leur donner son cœur et les entourer de tendresse. S’extirper de ce monde.
Et puis, certaines parlent de leurs ‘exploits’, … tandis que d’autre se taisent. Le silence, tout comme le sourire, peut dire bien des choses. Ce peut être un moyen de communication. Le silence choisi est différent du silence imposé.

C’est une aliénation, où l’on voit beaucoup de choses qui ne peuvent être racontées, et des choses que l’on ne préfère pas voir. Un monde parallèle.

L’illusion d’une liberté de choix

La notion de choix est-elle pertinente pour le système prostitutionnel ?
Peut-on envisager que ce soit une forme d’émancipation ?

La liberté n’est pas de consentir en se mettant à disposition d’autrui pour de l’argent. La prostitution n’est pas une réelle liberté. Dans la très grande majorité des cas,  elle ne relève en rien d’un réel « choix », mais plutôt d’une contrainte ou du fait accompli. Car en définitive on y entre par manque/ besoin/ nécessité d’argent pour vivre résultant d’un rejet ou mise en marge de la société, mais aucunement par plaisir.

Pour essayer de survivre en étant dedans on se convainc par « fierté » de vivre, mais en sachant inconsciemment que l’on n’est qu’une marchandise, un bout de viande pour l’acheteur.

La prostitution n’est pas le plus vieux métier du monde.
Il y avait les cueilleur·ses, chasseur·esses, les tanneur·es, peintr·esses, etc..mais les prostituées ?

Ce n’est pas un métier. Une personne se disant libre, hors réseau, ne fait pas ça toute sa vie. C’est une étape dans une vie.
Personne ne rêve de faire ça, et surtout personne ne voudrait que ses enfants fassent ça..

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Il n’y a pas d’empowerment avec la prostitution.

« Nous méritions, ou méritons bien mieux » chantait Daniel Darc.
Un milieu pour personne.

C’est un sujet de société, ou il est question d’êtres humains, de vies. Sortir de la prostitution est très dur et il faut réussir à passer à autre chose.
Une des meilleures préventions est de ne jamais commencer la prostitution.
Par ailleurs, on ne devient jamais riche en le faisant.

Nous savons que plus de 80% des personnes en situation de prostitution veulent et souhaiteraient des alternatives. Il faut accompagner sérieusement et décemment toutes les personnes désirant arrêter ou sortir de ce milieu.

Enfin prenons garde : la banalisation sociale fait qu’il y a de plus en plus de jeunes qui se retrouvent en situation de prostitution… pour avoir de l’argent.. Les mineur·es doivent être protégé·es des prostitueurs !

La honte doit changer de camp

« La prostitution est à la société ce que l’inceste est à la famille » Jorge Barudy, Psychiatre chilien.

Ce n’est pas aux personnes en situation de prostitution d’avoir honte, c’est aux prostitueurs et à la société qui qui les a rejetées. Les bannies, les exclues, que l’ont a fait marginales. En finir avec cette étiquette « sale », car comment vivre sereinement après, si c’est pour être jugé·e éternellement.  

Beaucoup de personnes concernées n’osent pas, ou ne souhaitent pas s’exprimer, car elles n’ont pas le même point de vue que leur groupe d’appartenance. Car une sorte « d’idéalisation » de la prostitution est faite par certaines.

Florence Jacquet

Les personnes trans dans la prostitution 

Les personnes qui refusent le débat sont les premières à crier à la censure.
Même au sein d’une « communauté », certaines personnes ne tolèrent absolument pas que l’on ne soit pas de leur avis. Il faudrait rentrer dans leur jeu alors qu’ils ne détiennent pas la seule réponse ou vérité. Si on parle, on risque l’exclusion ou boycott, insultes et agressions.

Concernant les personnes trans dans la prostitution, en très grande majorité des femmes, si la société de chaque pays les acceptait, aidait… si elles n’étaient plus rejetées par la famille, la société, exclues ou pénalisées pour l’accès à l’emploi, parcours, transitions, traitements… Il y aurait une place pour elles [comme pour tout le monde] ce qui amènerait à une quasi disparition de la mise en prostitution des femmes trans .

Mais, il faut que certaines femmes trans aient le courage de briser leurs chaines, et d’arrêter de se mentir et vivre dans le déni en parlant comme d’autres de « travail du sexe » (à noter qu’une grande majorité des femmes trans n’est absolument pas favorable avec les discours TDS, putes et fières,…/mais on les fait taire).

La journée du souvenir des personnes trans assassinées ou poussées au suicide dans le monde (le 20 novembre) nous apprend que plus de 95% des victimes sont des femmes trans. Et surtout, qu’une grande majorité d’entre elles (environ 60 %) étaient en situation de prostitution, ce qui démontre bien la violence de la prostitution dans des pays qui ne sont pas abolitionnistes.

Florence Jacquet

A suivre, deuxième partie : Sortir du silence, se reconstruire